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M. Victor Hugo se contemple en lui-même, dans son orgueil, dans ses phrases, et vraiment il ne sait plus où il en est, il a perdu le sens des situations lorsque dans une préface où il reprend l’histoire de sa vie il parle de « l’hiver des despotismes » et des « neiges de superstitions, » lorsqu’il écrit gravement : « Dire qu’un œuf a des ailes cela semble absurde, et cela est pourtant véritable… L’envergure d’un peuple se mesure à son rayonnement… La France a cela d’admirable, qu’elle est destinée à mourir, mais à mourir comme les dieux, par la transfiguration… Certains peuples finissent par la sublimation comme Hercule, ou par l’ascension comme Jésus-Christ… On pourrait dire qu’à un moment donné un peuple entre en constellation… Athènes, Rome et Paris sont pléiades. Lois immenses ! .. etc. » Et l’auteur continue ainsi sans s’apercevoir qu’il ne répond à aucune réalité ni même à aucun idéal, que sans le vouloir et à sa manière il dit le dernier mot d’une, littérature qui a eu sa part dans les désastres de la France, qui est heureusement condamnée à se transformer, si elle ne veut pas rester ensevelie sous ces désastres.

Étrange coïncidence ! après plus d’un demi-siècle, après soixante ans sonnés, les lettres françaises se retrouvent dans une situation à peu près semblable à celle où elles ont été après 1815, dans ces années où le génie littéraire renaissant a commencé à se déployer. Seulement tout était plus favorable autrefois. Le premier empire avait eu la fortune de reconstituer l’instruction, de relever le niveau des études classiques, et en maintenant pour la littérature un silence que pouvaient à peine rompre quelques voix éloquentes, il créait une sorte de repos où des intelligences d’élite pouvaient se former dans l’ombre. Le second empire, par un système de désorganisation intermittente et de réformes décousues à l’égard de l’instruction publique, par un régime qui n’était dur que pour les esprits sérieux, pour les esprits libéraux, en laissant une liberté trompeuse à une littérature de futilité, de corruption et d’industrie, le second empire a légué une véritable anarchie intellectuelle mêlée de fatigue ; il a créé ou développé la démocratie bruyante et vaine de la littérature. Que le retour soit bien plus difficile, — que la transition soit lente et obscure encore, ce n’est point douteux, elle est dans un sentiment intime bien plus que dans les faits. C’est pour ainsi dire un travail de débrouillement soumis à bien des influences et qui néanmoins s’accomplit, qui se manifeste déjà peut-être par plus d’un symptôme. Est-ce qu’on ne sent pas dans le public lui-même comme un besoin vague de se rattacher à des œuvres faites pour le relever et le rassurer, une sorte de réveil incertain, mal réglé, mais réel ? Le public, il revient même aux représentations classiques, et il s’intéresse à une tragédie nouvelle où il croit trouver