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les nations du midi s’étant conservées plus fidèles aux traditions classiques, celles du nord ayant offert en commun d’autres traits, qu’on retrouve chez les Germains dont elles sont issues, toutes d’ailleurs ayant subi en d’inégales proportions, par un si long mélange entre elles, par l’action du christianisme, par dix autres causes, la double influence que nous venons de signaler. Ce qu’a été pour la France, pour l’Angleterre, l’alluvion romaine, de savans travaux l’ont suffisamment montré, et à vrai dire sans trop de peine; il est plus difficile de distinguer le reste, c’est-à-dire ce qui provient directement de la source barbare dans certaines régions de la patrie et de l’intelligence française, ou bien dans la civilisation britannique, si profondément originale. Les livres du nord, qui nous ont gardé quelques souvenirs de ce que furent en Scandinavie les temps antérieurs aux influences venues du continent, doivent nous éclairer à cet égard.

Les ouvrages de l’ancienne littérature islandaise qui nous ont été conservés sont principalement de deux sortes : il y a surtout des sagas et des lois. Les sagas sont pour la plupart de simples récits biographiques, des chroniques de famille, rédigées dans cette langue norrène qui a été jusqu’au XIVe siècle la langue commune de tout le nord, et de laquelle se sont formés les idiomes de la Scandinavie actuelle. Des lois nous avons plusieurs recueils, entre autres celui qu’on a intitulé dès un temps très ancien le Gragas, c’est-à-dire l’oie grise, terme qui désigne les vieilles gens ou les vieux monumens. Il va de soi que la comparaison entre les textes législatifs et les narrations historiques est un moyen de contrôle et une source de lumière. La saga de Nial en particulier nous montre la société islandaise déjà toute formée et au moment même où elle va, après avoir énergiquement résisté, se soumettre, elle aussi, au christianisme. C’est en d’autres livres islandais, comme les Schedœ ou tablettes d’Are Frode, le Landnama-Bok et la Laxdœla-Saga, qu’il faudrait aller chercher le commencement de cette histoire, le récit de l’immigration, dont nous n’avons à donner ici que les principaux traits.

L’Islande paraît avoir été connue et quelque peu habitée pour la première fois par des ermites venus d’Ecosse ou d’Irlande; les pirateries scandinaves, en même temps qu’elles les empêchèrent sans doute d’y appeler des colons ou d’y faire eux-mêmes de nombreux établissemens, retrouvèrent leurs faibles traces. Le bruit s’étant répandu en Norvège qu’il y avait en mer, vers l’ouest, une grande île souhaitable et déserte, le Norvégien Floki résolut de s’y rendre. A défaut de boussole, il prit pour se diriger trois corbeaux consacrés aux dieux. Après avoir franchi les Shetland, puis les Féroe, il lâcha le premier de ces corbeaux, qui s’envola en arrière