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même syllabe, mais sans que cette syllabe fut nécessairement la dernière du vers.

Je serais, pour ma part, fort tenté de croire qu’il y avait dans le vers hébreu cette qualité indéfinissable qui doit se révéler aussi dans le bon vers français, qui en fait la physionomie, à laquelle nos oreilles sont extrêmement sensibles, mais qui, se dérobant à toute règle précise, échappe le plus souvent aux étrangers. Certainement de belles pensées, des rimes régulières, la symétrie des syllabes, ne suffisent pas en français pour faire de beaux vers. Nous savons tous la différence énorme qui sépare la plus habile versification de la vraie poésie. Il est vrai que, soit pauvreté prosodique de la langue, soit habitude invétérée de la rime, nous n’avons jamais pu prendre goût à ce qu’on appelle les « vers blancs. » Il n’en est pas moins constant que, pour nous charmer, le vers, tout en se pliant au mécanisme obligé de notre métrique, doit avoir une valeur musicale qui lui soit propre et qui se rapporte à l’idée ou au sentiment qu’il exprime. Selon ce qu’il veut peindre, le vers doit être sonore ou sourd, rapide ou lent, riche ou sobre de couleurs, uni à l’œil ou ciselé. Peut-être l’hébreu, dont la prononciation, comme celle de toutes les langues mortes, s’est beaucoup altérée dans le cours des âges, se prêtait-il mieux que notre idiome à cet élément du langage poétique, et cela contribuerait à expliquer l’absence des formes prosodiques, tenues ailleurs pour indispensables. Du reste il n’est pas besoin d’être de première force en hébreu pour distinguer immédiatement les textes poétiques des compositions en prose.

Ce qui est moins sujet aux contestations, c’est que la poésie des Hébreux a employé la strophe, c’est-à-dire l’assemblage répété d’un certain nombre de vers combinés de manière à former un sens complet. Parfois ces strophes ne sont que des distiques ou combinaisons de deux vers, plus souvent on en voit de quatre. Il y a des chants dont le milieu seul est ainsi divisé, l’ouverture et la finale échappant à cette uniformité. Cette absence de rigueur dans l’application des coupures symétriques rend souvent difficile de les reconnaître exactement dans des textes qui nous sont parvenus sans aucune indication de ce genre. Cependant l’emploi de la strophe par les poètes hébreux est mis au-dessus de toute espèce de doute par les morceaux qui, tels que le psaume 42, présentent une division très nettement accusée par un refrain qui revient après chaque partie. Dans l’exemple que nous citons, le retour périodique de cette question que l’auteur s’adresse à lui-même : pourquoi t’affliges-tu, mon âme? est d’un effet saisissant.

Un autre fait notoire, c’est le genre très original de symétrie qui