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entonnez le psaume, il est grand temps! » Aussitôt on vit les deux masses noires s’ébranler, marcher à l’ennemi piques baissées, et par-dessus les bruits de la bataille s’éleva une mélodie cadencée qui leur servait à marquer le pas. C’était le chant de guerre huguenot, le psaume 68 :

Que Dieu se montre seulement,
Et l’on verra dans un moment
Abandonner la place.
Le camp des ennemis épars,
Epouvanté, de toutes parts,
Fuira devant sa face.
On verra tout ce camp s’enfuir
Comme l’on voit s’évanouir
Une épaisse fumée.
Comme la cire fond au feu.
Ainsi des méchans devant Dieu
La force est consumée.


Les deux compagnies sombres, tout en chantant et en perdant à chaque pas quelques-uns des leurs, s’enfoncèrent comme deux coins de fer dans les rangs des ligueurs, et leur trouée permit à l’armée royale de reprendre l’offensive. Au même instant, le brouillard, qui toute la matinée avait empêché l’artillerie du vieux château de diriger son feu sur les troupes de Mayenne, se dissipa, et bientôt le chant du psaume fut souligné par les détonations régulières des canons du roi. A partir de ce moment, la débandade des ligueurs fut complète, ils furent poursuivis l’épée dans les reins, Henri IV fut sauvé et, nous pouvons bien le dire, la France avec lui. C’est une chose étrange, il faut l’avouer, que de voir ce cantique juif, d’un auteur inconnu, probablement du temps des Séleucides, contribuer ainsi pour sa bonne part à faire la France moderne. Et, puisque nous sommes sur le terrain biblique, nous ne pouvons mieux terminer qu’en rappelant cette parole d’un autre livre sacré : « L’esprit souffle où il veut, et nul ne sait d’où il vient ni où il va. »


ALBERT REVILLE.