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image de ce monde mêlé et pourtant plein de vie et d’originalité.

Certes la période souabe fut brillante au plus haut degré. Palerme fut, durant quelques années, la capitale de l’Europe, le centre des grandes affaires ; mais la Sicile se trouva entraînée par les Hohenstaufen dans une querelle qui n’avait rien de national pour elle, la guerre de l’empire et de la papauté. Cette guerre du laïque et de l’église, l’Italie sait la faire à sa manière ; mais sa manière n’est pas du tout la manière allemande. L’Allemagne procède par guerre ouverte, par antipapes ; l’Italie soutire l’orage au lieu de l’amonceler. Elle n’a que faire d’antipapes, puisque son pape à elle est toujours le pape de Rome, le pape véritable. Les maladresses des Hohenstaufen n’eurent d’autre résultat que d’amener cette triste domination ultramontaine de la maison d’Anjou, aussi fâcheuse pour la France que pour la Sicile et la papauté, et qui nous fit jouer pour la première fois dans le monde le rôle toujours gauche de zouave pontifical.

Il ne faut jamais demander à l’art la raison des procédés qu’il emploie pour produire son impression. Le monde byzantin, le monde latin, le monde arabe, semblent trois élémens inconciliables. La Sicile a su les mélanger dans des monumens dont l’effet est charmant. La chapelle Palatine et ce qu’on appelle la chambre de Roger doivent compter entre les perles du monde. Je ne m’imaginais point pareille chose d’après ce que j’avais vu en Orient : une chapelle bâtie sur le plan d’une mosquée, avec un plafond décoré de pendentifs en forme de stalactites et orné d’inscriptions coufiques, voilà ce que les chrétiens d’Orient n’ont jamais osé ; ils auraient horreur pour une église de motifs si purement musulmans. La coupole de la chapelle Palatine est une merveille de grâce et d’élégance de construction. C’est une petite mosquée d’Omar ; comme dans cette dernière, les ordres grecs sont employés avec un sentiment juste de leur valeur primitive. Et pourtant tout cela a été bâti en 1132 par Roger II. — L’église Saint-Jean-des-Ermites, avec ses trois absides et ses cinq petites coupoles hémisphériques, paraît de même au premier coup d’œil une mosquée, et pourtant elle a été bâtie pour église ; il ne peut exister aucun doute à cet égard.

Que dire de la Martorana, ce petit chef-d’œuvre d’église avec ses inscriptions arabes et grecques, si bizarrement devenue une chapelle de religieuses, lesquelles, sans toucher beaucoup aux parties primitives, les ont appropriées à leurs usages au moyen d’additions du style le plus prétentieux assurément, mais le plus réjouissant dans sa naïveté. La question des restaurations se pose ici dans toute sa netteté. Faut-il supprimer tous ces petits joujoux de cuivre et de marbre polychrome, dont les pauvres recluses s’amusèrent, ces