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de la doctrine d’après un de ses interprètes reconnu comme l’un des plus exacts et des plus fidèles[1]. L’homme, étant le produit des variations successives d’espèces animales antérieures, est le résultat, par là même, d’inégalités individuelles, ethniques et spécifiques, qui peu à peu l’ont constitué comme espèce, race ou individu. Le premier animal qui manifesta quelques caractères exclusivement humains acquit une supériorité immédiate sur ses congénères, et transmit cette supériorité à quelques-uns de ses descendans. Ainsi se créa l’espèce. De la même manière se créèrent au sein de l’espèce les races privilégiées. Les races tendent à s’isoler jusqu’au moment où la civilisation les rapproche; mais il en est quelques-unes qui s’isolent de plus en plus, et qui par là sont condamnées à disparaître sous l’action de la loi sélective, qui abaisse et détruit ce qu’elle n’élève pas et ne féconde pas. Il reste pourtant quelques branches primitives, immobiles et en quelque sorte atrophiées, comme des spécimens oubliés de nos origines. Des Mincopies des îles Andaman, des Maories de la Nouvelle-Zélande, des Tasmaniens de Van-Diemen, des Hottentots et Boschmen du sud de l’Afrique, des habitans de la Terre-de-Feu ou des Esquimaux, au premier bimane qui eut trente-deux dents et trente-deux vertèbres, marcha debout sur ses deux pieds et ne grimpa que par occasion aux arbres, il y a une distance infiniment moins grande que de ces hordes infimes à nos peuples européens. On peut même dire qu’au point de vue intellectuel un Mincopie ou un Papou est plus proche parent, non-seulement du singe, mais du kangourou, que d’un Descartes ou d’un Newton[2].

Les classes sociales se sont formées dans chaque société de la même façon et par l’action de la même loi que les races au sein de l’espèce. Qui oserait raisonnablement s’en plaindre? Il faut avoir l’entendement obscurci par des préjugés de système ou des passions personnelles, « comme nos philosophes, nos moralistes et nos politiques, » pour ne pas saisir les mille liens qui unissent ces inégalités naturelles, c’est-à-dire innées, originelles, aux inégalités sociales garanties ou instituées par la loi. Par une série de déductions fortement enchaînées, on arrive à établir ces deux propositions fondamentales : 1° il n’est point d’inégalité de droit qui ne puisse trouver sa raison dans une inégalité de fait, point d’inégalité sociale qui ne doive avoir et n’ait à l’origine son point de départ dans une inégalité naturelle; 2° corrélativement, toute inégalité naturelle qui se produit chez un individu, s’établit et se perpétue

  1. Mme Clémence Royer, Origine de l’homme et des sociétés, chapitre XIII.
  2. Ibid., p. 543.