Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était propre : « Eh bien ! mon cher Duvergier, voilà le moment de faire du gouvernement parlementaire. » M. Thiers l’attendait à la porte dans sa voiture; nous y montâmes ensemble pour aller chez M. Odilon Barrot, avec qui nous fûmes bientôt d’accord. Quand la maison brûle, il s’agit d’éteindre le feu, et ce n’est pas le moment de se diviser pour des nuances.

Quelques heures après, nous partions en corps de la maison de M. Thiers pour aller à travers les barricades aux Tuileries, où le roi nous attendait. M. de Rémusat était, après M. Thiers, celui d’entre nous que le roi connaissait le plus, et il l’écoutait volontiers. Ce ne fut pourtant pas sans résistance qu’il lui permit de rédiger un manifeste qui annonçait à la population la constitution du nouveau ministère et ses projets de réforme. Il était trop tard, et nous eûmes la douleur d’assister à la catastrophe sans pouvoir l’empêcher. Comme le lendemain je m’étonnais d’avoir vu dans les rangs de’ ’insurrection certains hommes de qui nous n’avions pas pu obtenir un acte de résistance légale : « Que voulez-vous? me dit M. de Rémusat, il y a en France une foule de gens qui n’ont que deux goûts : recevoir des coups de bâton et tirer des coups de fusil. Quand ils sont las d’un exercice, ils passent à l’autre. » Le mot était dur, mais vrai, et les années qui ont suivi l’ont pleinement justifié.

Envoyé à l’assemblée nationale par le département de la Haute-Garonne, M. de Rémusat prit une place éminente dans le petit groupe d’anciens députés libéraux qui, tout en acceptant la république, défendaient l’ordre contre les entreprises de la démagogie. C’est lui qui le 15 mai alla à la caserne du quai d’Orsay avertir de l’envahissement de l’assemblée et demander qu’on vînt à notre aide; mais il avait pris au sérieux son adhésion à la république, et quand vint le moment de lui donner un président, il ne jugea pas à propos de la mettre à la discrétion d’un Bonaparte. Il résista donc à l’entraînement presque général du parti conservateur en faveur de Louis-Napoléon, et il vota ostensiblement pour le général Cavaignac. Celui qui écrit ces lignes s’honore d’avoir été cette fois encore d’accord avec lui et de n’avoir participé en rien à l’acte qui nous a perdus.

Conséquent avec lui-même, M. de Rémusat refusa de faire partie du cabinet constitué par M. Odilon Barrot, et quelques mois plus tard, après les élections générales, il persistait dans son refus malgré les instances du président du conseil et bien que les noms de plusieurs des nouveaux ministres, M. Dufaure, M. de Tocqueville, M. Lanjuinais, fussent de nature à lui plaire; mais l’attitude du président depuis qu’il était au pouvoir n’avait fait qu’augmenter sa méfiance, et il avait une répugnance invincible à devenir un de ses ministres. Ce n’est pas qu’il approuvât sur tous les points la conduite