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et le réveil de la France devait précéder de bien peu les terribles événemens qui l’ont frappée.

Cette impression ne s’effaça pas pendant un voyage que M. de Rémusat fit en Angleterre, où il trouva le monde politique fort hostile en principe au régime napoléonien, mais convaincu en fait que ce régime était celui qui convenait aux Français. Ce ne fut donc pas avec une satisfaction sans mélange qu’il lut à Fribourg le décret qui lui permettait de rentrer en France. La vie, selon lui, était pour nous plus libre et plus digne à l’étranger qu’elle ne pouvait l’être dans un pays qui s’accommodait si facilement du despotisme. « Notre nation, m’écrivait-il, cette nation qui jadis soulevait le monde par ses idées, est désabusée, repentante, charmée de n’avoir plus à se conduire elle-même. » Heureusement M. de Rémusat s’était assuré dans la philosophie et dans les lettres une puissante ressource contre le découragement. En Angleterre comme en Belgique, il n’avait pas cessé de travailler, et, au moment même où les portes de la France lui étaient ouvertes, il commençait la publication de plusieurs livres qui devaient mettre le sceau à sa réputation d’écrivain et de philosophe.

En réfléchissant sur l’aridité de la plupart des histoires de la philosophie, M. de Rémusat avait pensé que ce défaut tenait surtout à ce que l’historien se contentait d’exposer les systèmes. N’en serait-il pas autrement, disait-il, s’il y joignait l’histoire des philosophes en les montrant dans le milieu où ils ont vécu, en rappelant les institutions, les événemens, les circonstances sociales qui les ont entourés, en les plaçant sous l’influence des faits, des mœurs et des opinions de leur temps? C’est dans cette pensée neuve et féconde qu’il conçut et publia une suite d’ouvrages sur saint Anselme de Canterbury, sur Bacon et sur lord Herbert de Cherbury. Entre ces trois personnages célèbres à des titres divers, il y avait de notables différences; l’un, moine simple et pieux, appelé malgré lui au premier siège épiscopal de l’Angleterre, mêlé par la force des choses à la grande querelle des investitures, et résistant avec une douce fermeté aux odieuses violences de Guillaume le Roux aussi bien qu’à l’opiniâtreté hautaine de Henri Ier ; l’autre, homme d’un esprit supérieur et d’un caractère méprisable, profond penseur et courtisan bassement ambitieux, grand philosophe et magistrat corrompu, l’honneur et la honte de son temps ; le troisième, coureur d’aventures chevaleresques, gentilhomme de cape et d’épée, vaillant soldat, duelliste, diplomate, homme à bonnes fortunes. Il ne semblait pas que M. de Rémusat, fils de la révolution, homme du XIXe siècle et peu disposé à donner raison à l’église contre l’état, dût avoir pour le premier de ces trois personnages une grande sympathie; mais la question ne se posait pas au XIe siècle comme elle