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mais qui commençait à sentir son isolement. « Une opinion, avait-il écrit en 1860, commence à se répandre. Cette opinion veut que les jours de statu quo aient cessé pour le gouvernement actuel. On veut croire qu’il en est venu au point où le maintien de l’ordre établi ne peut plus lui suffire, et beaucoup d’excellens juges qu’il aurait tort de compter tous parmi ses adversaires estiment qu’il est nécessairement amené à pencher vers l’une de ces deux choses, la guerre ou la liberté. » Cette opinion grandissait d’année en année, et, malgré son aversion naturelle pour le gouvernement qui l’avait proscrit, M. de Rémusat, patriote avant tout, désirait qu’il se retrempât dans la liberté. Quand des élections municipales eurent lieu, il ne refusa donc pas de prendre part à la campagne électorale, non pour lui-même, mais pour son fils, qui fut élu à Toulouse par le concours de toutes les oppositions. L’année suivante, lors des dernières élections de l’empire, il appuya encore son fils; mais cette fois les manœuvres de la préfecture l’emportèrent, et il échoua à quelques centaines de voix. Au milieu de toutes ces alternatives, son impression changeait de jour en jour. Un jour il voyait la France se réveiller, et il se reprenait à l’espoir qu’elle reviendrait à ses traditions libérales. Le lendemain, il se demandait si la cause du gouvernement parlementaire n’avait pas péri définitivement dans notre pays, et si notre sort n’était pas de passer sans cesse du despotisme à l’anarchie. Néanmoins il ne croyait pas que l’on pût abandonner la lutte sans déshonneur, et il conseillait à son fils, comme aux fils de ses amis, de continuer à défendre la bonne cause. Ce qu’il y avait de pire selon lui, c’était de se confondre avec cette masse sans principes et sans dignité qui, après avoir formé des vœux extravagans, s’inclinait et s’humiliait devant la plus faible résistance.

Tel était l’état d’esprit de M. de Rémusat quand éclata la guerre insensée qui devait démembrer et ruiner la France. Dès le début, il en augura mal, et après Sedan il regarda la catastrophe finale comme imminente. Quelques fautes d’ailleurs avaient été commises. Ainsi, selon lui, le gouvernement de la défense nationale avait eu tort de rester à Paris et de ne pas se transporter presqu’en entier dans les départemens où il aurait pu organiser la résistance. Néanmoins la seule faute grave qu’il eût faite, c’était d’avoir ajourné les élections. « N’est-ce pas, m’écrivait-il, une chose monstrueuse que des questions où il y va de la mort et de la vie d’un pays soient décidées sans que ce pays soit consulté? » Plus d’une fois, pendant la crise, il alla à Tours, où, à son grand chagrin, il trouva la guerre ouverte entre la république et la réaction. « On n’est occupé, disait-il, surtout de notre côté, qu’à chercher des torts aux hommes du gouvernement et à les qualifier d’une manière injurieuse...