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une des superstitions de notre époque. — Nous ne discutons pas, nous exposons. Si ce sont là les leçons de la science positive, nous serions curieux de savoir si « la démocratie scientifique » les accepte.

Acceptera-t-elle aussi ces leçons que le sévère penseur donne aux révolutionnaires? Comme il faut, nous dit-il, pour que la vie sociale suive son cours, que le vieux subsiste jusqu’à ce que le nouveau soit prêt, un compromis perpétuel est l’accompagnement indispensable d’un développement normal. Nous voyons la nécessité de ce compromis en observant qu’il s’opère également pendant toute l’évolution d’un organisme individuel. On ferait autant de mal à une société en détruisant ses vieilles institutions avant que les nouvelles soient assez bien organisées pour prendre leur place, qu’on en ferait à un amphibie en amputant ses branchies avant que ses poumons soient bien développés. La négation de cette vérité est le trait caractéristique des réformateurs politiques et sociaux de notre temps. La science sociale, fondée sur les lois naturelles, est donc à la fois radicale et conservatrice, — radicale au-delà de tout ce que conçoit le radicalisme actuel, conservatrice au-delà de tout ce que conçoit le conservatisme d’à présent : radicale, parce qu’elle est convaincue que l’avenir lointain tient en réserve des formes de vie sociale supérieures à tout ce que nous avons imaginé, conservatrice par l’intelligence qu’elle a de la nécessité des diverses formes transitoires que l’évolution a imposées aux sociétés, de l’absurdité qu’il y aurait à les juger avec nos pensées et nos sentimens modernes, conservatrice enfin par le mépris qu’elle a pour les violens et par sa conviction raisonnée que les modifications brusques dans un état social ne sauraient jamais produire ni un salutaire ni un durable effet.

Pour tout résumer d’un mot, je ne vois que des oppositions entre l’école de l’évolution et l’école de la révolution. La démocratie prétend en vain se rattacher à ces théories nouvelles. Elle a gardé son caractère rationaliste, sa méthode géométrique d’axiomes et de déductions. Elle est restée ce que l’ont faite Rousseau, son aïeul, et ses pères de la convention : radicale non-seulement pour l’avenir, mais pour le moment présent, logicienne à outrance, sans nuance, sans tempérament, sans aucun instinct des compromis avec le passé ni des nécessités de transition, courant à travers les obstacles à son but unique, la réalisation à tout prix du modèle idéal qu’elle a conçu a priori pour l’homme et la société. Qu’y a-t-il là de commun avec la théorie positive qui nie tout ce qu’affirment ces démocrates, l’absolu du droit, l’absolu de l’égalité, l’absolu de la liberté et la nécessité de refaire immédiatement l’homme sur le type de ces trois absolus?