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aux travaux de cette réunion : c’était mal connaître les ressources d’un esprit aussi délié que lettré, et qui profita de l’occasion pour risquer son fameux mot sur Saturne. « Il me revient, écrivait-il au baron Brunnow à Londres, 13 janvier 1869, qu’il y a des personnes qui accusent la Russie de vouloir faire avorter la conférence. On n’ignore pas que la conférence émane de la pensée de l’empereur. La fable de Saturne n’a pas d’application dans les erremens de la politique du cabinet impérial... » Alexandre Mikhaïlovitch n’était pas au bout de ses hardiesses; il devint amer, presque agressif, il parla des « excitations du dehors, » d’un « procès de tendance, » de « la méfiance qui s’attachait à chaque pas de la Russie, » et alla jusqu’à dénoncer une grande conspiration ourdie par les puissances occidentales contre la paix du Levant. « Il nous est impossible de ne pas remarquer, disait-il dans une dépêche au baron de Brunnow du 17 décembre 1868, que cette note discordante n’est pas la seule qui soit venue troubler les échos de l’Orient. C’est ainsi qu’on a vu d’abord la Serbie devenir le point de mire d’une agitation qui de la presse a fini par gagner la diplomatie ; le prince Michel Obrénovitch a été mis en suspicion, et il n’a fallu rien moins que sa fin tragique pour désarmer les hostilités dirigées contre lui. Aussitôt après, c’est le gouvernement des principautés-unies contre lequel s’élèvent des accusations : les bandes bulgares deviennent un motif d’incriminations, on lui reproche de les avoir tolérées, on l’accuse de les avoir encouragées. Cette complication à peine écartée, une crise nouvelle surgit dans les rapports de la Turquie avec la Grèce, une crise plus grave encore et plus dangereuse pour la paix générale... » Décidément, à défaut de la « fable de Saturne, » celle du loup et de l’agneau avait bien son application dans les erremens de la politique du cabinet impérial de Saint-Pétersbourg.

La conférence de Paris réussit néanmoins dans ses efforts, le différend gréco-turc fut aplani, et avec le printemps de l’année 1869 l’aquilon de la propagande souffla moins fort dans les vallées du Danube et les gorges du Balkan. Il y eut une espèce d’accalmie; mais les matières à combustion restaient toujours accumulées, prêtes à s’enflammer à la première étincelle. Les radicaux de la Roumanie n’étaient pas les seuls à prévoir une action offensive de la Russie en Orient aussitôt que viendraient à éclater des complications sérieuses dans l’Europe occidentale; c’était là une conviction presque universelle, et que les enfans de Rourik partageaient tous les premiers. La fin de l’année 1869 fut signalée par un incident qui ne laissa pas de gravement impressionner tous les esprits sérieux. On célébrait à Saint-Pétersbourg le centenaire de l’institution de l’ordre de Saint-George, du grand ordre militaire de la Russie,