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Le Brandebourg est une des plus tristes régions de la triste plaine de l’Allemagne du nord. La Havel et la Sprée en sont les deux principales rivières, et si les cours d’eau sont, comme dit Pascal, de grands chemins qui marchent, ceux-ci sont bien tracés, car ils partent des extrémités du pays pour arriver au centre, et de là se diriger vers l’Elbe, qui mène vers la mer; mais que ces chemins brandebourgeois marchent mal! Dès qu’elle entre dans la province, la Sprée, qui ne trouve plus de pente, semble s’arrêter; elle se partage en petits bras, qui coulent à moitié endormis entre des prairies et sous des bois d’aulnes. Le courant de la Havel s’affaiblit en s’épanchant dans un grand nombre de lacs. Du moins ces imperfections ont leur charme : les bois, les lacs où se reflètent les grands nuages du ciel septentrional reposent l’œil du voyageur que fatigue l’aridité de cette terre, et les rares collines qu’on rencontre au bord des rivières rompent la monotonie de la plaine. Ailleurs on se croirait, l’été, transporté dans le Sahara. Ce n’est pas sans raison qu’on appelle le Brandebourg « la sablière de l’Allemagne; » telle petite ville y est enveloppée, quand le vent est fort, par des tourbillons de sable; le vent apaisé, il faut dégager les portes obstruées des maisons, et balayer les rues, où le sable monte jusqu’au genou. Sur le plateau de Fläming, les habitans reçoivent de l’autorité municipale une ration d’eau quotidienne, mesurée parcimonieusement. Au matin, dans chaque village, on se réunit autour de la fontaine; le bourgmestre arrive avec les clés, fait la distribution et referme soigneusement les portes du trésor.

La lumière de l’histoire se lève tard sur ce pays déshérité. Au début de l’ère chrétienne, il est habité par des Germains qui l’abandonnent pour se diriger vers le sud et vers l’ouest, quand la grande invasion des barbares se répand sur les provinces de l’empire romain. Alors les Slaves, qui habitaient la rive droite de la Vistule, s’avancent et prennent possession des terres abandonnées jusqu’à l’Elbe, qu’ils dépassent par endroits. Entre l’Elbe et l’Oder, on les appelle les Wendes, et ils sont divisés en trois groupes : Obotrites, dans le Mecklembourg, Wiltzes dans le Brandebourg, Sorabes en Lusace et en Misnie. Placés à l’avant-garde du monde slave, les Wendes occupent un poste de combat en face de l’Allemagne du nord.

C’est à la faveur de l’invasion que les Slaves avaient fourni, presque sans lutte, cette longue marche en avant : leurs progrès s’arrêtèrent le jour où s’arrêta l’invasion, c’est-à-dire quand des peuplades germaniques, parmi lesquelles dominaient les Francs, eurent pris possession définitive de la Gaule et défendirent ses frontières contre les nouveaux arrivans. Les Francs sont ainsi mêlés à la plus ancienne