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LE DERNIER DES VALERIUS.

un appel à son esprit. Je savais qu’elle formait des projets d’étude et de charité, car elle voulait remplir dignement son rôle de patricienne ; mais, bien que Valério trouvât les journaux soporifiques, je me doutais qu’il ne tournerait pas bien vite pour sa femme les pages du Dante, et que les anecdotes de Vasari ne le charmeraient guère. Pourrait-il conseiller, instruire, guider sa compagne ? Et si elle devenait mère, comment partagerait-il ses responsabilités ? Sans doute, il assurerait à son petit héritier une solide paire de bras et de jambes, une abondante moisson de cheveux noirs ; mais j’avais de la peine à me le figurer enseignant au robuste bambin ses lettres, ses prières ou les premiers rudimens des vertus enfantines. Le comte, il est vrai, possédait un talent qui ferait de lui un agréable camarade de jeux : il portait sans cesse dans ses poches une collection de précieux fragmens d’un antique pavage, — échantillons de porphyre, de malachite, de lapis, de basalte, — déterrés sur son domaine, et qui devaient leur poli à un maniement continuel. Vous auriez pu le voir s’amuser pendant des heures entières à les lancer à la file pour les rattraper sur le dos de sa main. Son talent était si remarquable qu’il envoyait une pierre à une hauteur de cinq pieds et la recevait à la descente.

Je surveillai avec une inquiétude affectueuse quelque symptôme annonçant que Marthe s’apercevait que son mari ne la valait pas. Une ou deux fois, à mesure que les semaines s’écoulaient, je crus reconnaître à son regard qu’elle se rappelait certains entretiens où j’avais affirmé, — avec autant de justesse que vous voudrez, — qu’un Espagnol ou un Italien peut être un très brave garçon, mais qu’il ne respectera jamais au fond la femme qu’il prétend aimer. Presque toujours cependant mes noires prévisions se dissipaient dans l’atmosphère enchantée de l’antique paradis où nous vivions isolés du monde moderne, et n’ayant que faire des scrupules modernes. L’endroit était si calme, si bien enfoui dans un passé silencieux, que l’on y respirait malgré soi un bonheur somnolent. Parfois, tandis que je peignais, je voyais mes hôtes passer, en se tenant par le bras, à l’extrémité d’une avenue, et la brillante vision me faisait trouver mes couleurs plus ternes. Alors je me persuadais que j’avais pour mission de devenir le fidèle chroniqueur d’une poétique légende.

Bien que le spectacle de cette rare félicité n’eût rien de monotone, j’appris avec plaisir que le comte, cédant aux sollicitations de Marthe, allait entreprendre une série de fouilles systématiques. Les fouilles sont un luxe coûteux, et ni Valério ni ses prédécesseurs immédiats n’avaient eu les moyens de faire de l’archéologie en amateurs ; mais ma filleule, convaincue que le sol du parc cachait d’innombrables trésors, croyait honorer l’antique maison qui l’acceptait