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journal du soir au Café Greco, il ne me restait d’autre alternative que de retourner sur mes pas. Je découvris sans peine ce que je cherchais, et je m’attardai un moment à contempler le curieux aspect de l’endroit que j’avais étudié en plein jour. La nuit était magnifique et chargée des parfums d’un printemps romain. La lune répandait déjà ses lueurs argentées sur les lourdes masses d’ombres. Tout en observant ces effets, je poursuivis ma promenade, et je me trouvai à l’improviste en vue du casino.

Au même instant, la lune, qu’un nuage venait de voiler, inonda de sa pâle clarté une petite statue qui ornait le bas de cette construction d’une originalité par trop cherchée. Je me souvins qu’il y avait là, tout près de moi, une statue autrement belle et que ce genre d’éclairage ne pouvait manquer d’être très avantageux à la Junon emprisonnée. La porte du casino, comme à l’ordinaire, était fermée à clé; mais Diane illuminait si généreusement les fenêtres de l’édifice que ma curiosité devint aussi obstinée qu’inventive. Je traînai plusieurs sièges près du mur et je pus grimper assez haut pour que mes yeux se trouvassent au niveau d’une des croisées. Cédant à un premier effort, les charnières tournèrent sur leurs gonds, et je contemplai à mon aise ce que je voulais voir : — Junon. visitée par Diane. L’admirable statue, baignée dans un flot radieux, brillait d’un doux éclat, qui la rendait plus divinement belle. Si, en plein soleil, son teint suggérait l’idée de l’or terni, elle avait l’air en ce moment d’être en argent. L’effet était presque terrible. Comment croire qu’une beauté aussi éloquente soit inanimée? Telle fut ma première impression. Je vous laisse à penser si la seconde dut être moins saisissante. A peu de distance du piédestal de la statue, juste en dehors de la lumière qui répandait une auréole autour de la Junon, je vis tout à coup une figure prosternée dans l’attitude d’une profonde adoration. Il me serait difficile d’exprimer à quel point elle compléta l’effet produit sur moi. Elle semblait proclamer ce magnifique chef-d’œuvre une déesse et donner raison à l’orgueil triomphant qui éclatait sous son masque de pierre. Je n’ai pas besoin de dire que cet adorateur n’était autre que le comte. Ses yeux étaient fermés. Bientôt les rayons de la lune vinrent donner un ton livide à ses traits, déjà pâlis par la fatigue. Il avait rendu visite à Junon sous l’empire d’une étrange hallucination. Épuisé soit pour avoir résisté, soit pour avoir trop cédé à sa ferveur païenne, il était tombé en syncope ; cependant sa respiration égale m’annonça qu’il n’y avait pas lieu de m’alarmer. En effet, il ne tarda pas à sortir de sa léthargie, poussa une exclamation inintelligible, regarda autour de lui comme quelqu’un qui sort d’un rêve; puis, reconnaissant l’endroit où il se trouvait, il se leva, se tint un