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la joie de la Grèce. Grâce aux fréquentes expéditions de nos rois au-delà des Alpes, la France des Valois s’initia bien vite à cette religion de l’art, et bien des âmes s’y éprirent d’un enthousiasme sincère pour les chefs-d’œuvre retrouvés des anciens ou pour ceux des modernes leurs émules. Il en fut de même pour les livres, qui mettaient à la portée de tous ces textes antiques où la pensée des grands peuples d’autrefois s’exprimait encore plus clairement que dans les ouvrages de la plastique. Proches parentes et proches voisines, l’Italie et la France ont cultivé presque avec la même ardeur mêmes goûts et mêmes études ; sous une même influence, bibliothèques et musées se multiplièrent dans les deux pays ; après avoir fait l’orgueil des seigneurs et des petits princes, ils se changèrent, à mesure que s’éteignirent les dynasties locales, en grandes collections d’état, chères au peuple qui en jouissait, célèbres dans toute l’Europe, rendez-vous des curieux et des savans.

L’Angleterre ne se trouvait pas dans les mêmes conditions. Elle était bien loin de cette Italie où l’antiquité s’était soudain dégagée de son linceul, où les marbres vivans étaient partout sortis de terre, comme les fleurs au printemps, pour réveiller l’art endormi. Les luttes religieuses et l’esprit sectaire, tout en trempant les âmes et en les préparant à la conquête de la liberté politique, contribuèrent encore à isoler l’Angleterre ; plus tard, les longues guerres contre la France eurent un effet analogue. Aujourd’hui l’Angleterre est en paix avec tout le continent et l’on va en dix heures de Londres à Paris ; aussi, quand il fait beau, serait-on tenté de prendre le détroit pour une rivière un peu plus large que les autres. Craignons que le chemin de fer et le bateau à vapeur ne faussent nos appréciations historiques. Jadis l’Angleterre était bien une île, et le vers de Virgile gardait tout son sens ; on pouvait parler des Bretons que la mer séparait de tout le reste du monde,

Penitus toto divisos orbe Britannos.

Traverser la Manche était toujours chose hasardeuse ; en temps de guerre, on tombait aux mains des croiseurs ennemis ; en temps de paix, on était à la merci d’une bourrasque. Un voyage sur le continent comportait de grands risques et coûtait très cher ; il n’était à la portée que d’un petit nombre de privilégiés ; il restait un luxe trop rare pour que se répandissent dans le gros de la nation des goûts qui étaient ailleurs bien moins rares et plus encouragés. En dehors des questions d’affaires et de politique, l’opinion en Angleterre n’était guère susceptible de se passionner que pour tout ce qui touchait à l’interprétation de la Bible et à son autorité.

Le rôle qui, dans l’Europe méridionale, avait appartenu aux