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avant d’aller à Dieu, de subir les persécutions des mauvais esprits ou didis, qui cherchent à les saisir et à les entraîner. De là l’usage de consacrer des offrandes à ces didis pour satisfaire à leurs exigences. De même, dans la mythologie classique, il faut, au seuil du monde infernal, apaiser les trois gueules de Cerbère. — Sous toutes ces croyances diverses, n’y a-t-il pas l’idée que l’homme, si vertueux qu’il ait été ici-bas, emporte toujours quelque souillure que l’expiation doit effacer, et n’est-ce pas là comme une informe ébauche de la doctrine du purgatoire ?

La notion du jugement ne se présente pas partout sous l’image d’un juge et d’un tribunal. Quelquefois la sentence résulte simplement de la facilité avec laquelle l’âme triomphe des obstacles qu’elle rencontre sur sa route. Certains nègres de Guinée sont convaincus qu’au sortir de cette vie chaque âme est accompagnée par deux esprits, l’un bon, l’autre mauvais. Sur le chemin qu’elle parcourt, il est un passage dangereux : un mur se dresse en travers. L’âme pieuse, aidée par le bon génie, franchit le mur aisément ; l’âme perverse s’y brise la tête. C’est une conception fort analogue à celle du fameux pont Al-Siral des musulmans.

Le monde infernal est ordinairement un lieu sombre et souterrain. Il est gouverné par un roi, quelquefois par une reine ; les Groënlandais par exemple croient à une sorte de Proserpine qui trône au fond d’une caverne, entourée de monstres marins. Les damnés servent de pâture aux démons, ou bien traînent une existence lamentable, se nourrissant de cendres, de serpens, de lézards et de papillons.

Un des châtimens les plus fréquens des âmes qui ont mal vécu, c’est de revenir sur terre, d’errer autour des demeures qu’elles habitaient ici-bas, d’épouvanter et de tourmenter les vivans. Selon certaines tribus nègres, les âmes qui sont devenues la proie des mauvais esprits remplissent l’air de tumulte, font du bruit dans les Buissons, troublent le sommeil de ceux qu’elles haïssent. Si une âme apparaît trois jours après la mort, on en conclut qu’elle n’est pas allée à Dieu, et le cadavre est brûlé sans honneur. Mais les âmes des bons ne reviennent pas : Socrate dans le Phédon dit la même chose. N’est-ce pas une vue d’une moralité profonde et délicate que le principal châtiment de ceux qui ont fait le mal en cette vie, c’est de rester malfaisans après leur mort ?

Quant aux félicités des âmes vertueuses, les croyances varient suivant la nature des misères auxquelles les sauvages sont en proie pendant cette vie. L’Esquimau, glacé par l’éternel et implacable hiver du pôle, rêve un été sans fin, un soleil qui ne se voile jamais, une abondance intarissable de volailles et de poissons. Sa terre est trop nue, son ciel trop lugubre, pour qu’il songe à y placer son pa-