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commencement de la seconde partie offre encore de semblables intentions ; mais bientôt la suite les dément et court à la dérive. Bataou se retire dans la vallée du Cèdre, où les dieux lui donnent une compagne. Un jour que cette femme prend le bain, une boucle coupée de sa chevelure tombe au fleuve et se retrouve dans les vêtemens du pharaon, qu’on y a lavés et qu’elle parfume. Amoureux de cette beauté inconnue, ce dernier la fait chercher et lui exprime sa passion ; elle y cède. Bataou, trahi par elle, est assassiné, mais il revit ; tantôt il est l’arbre magnifique à l’ombre duquel la reine parjure veut dormir, et il se penche à son oreille en lui disant : « Je suis ton époux, dont tu as causé la mort ; » tantôt il devient le superbe Apis que le pharaon et sa cour viennent adorer, et quand la reine s’agenouille et prie, il se penche à son oreille et lui dit : « Je suis ton époux, dont tu as causé la mort… » Assurément si l’auteur du récit, interprète ou non d’imaginations légendaires, a voulu traduire et personnifier le remords, il semble qu’il y a réussi ; cependant voilà qu’aussitôt après la narration dévie en inventions incohérentes et bizarres. L’arbre dont la fleur a conservé intact le cœur de Bataou est abattu ; la reine vient à en avaler une graine ; elle conçoit, et son fruit se trouve être Bataou lui-même, qu’elle épouse à nouveau… Voilà de puériles inventions, qui ne se règlent sur aucune logique et ne suivent que le caprice. Il est assez évident que nous ne sommes pas ici en présence d’un génie simple et fort comme le génie hébraïque. Ce qui anime les pages de la Bible, c’est le souffle puissant du surnaturel, directe émanation du plus haut esprit religieux. Ce qui brille dans les compositions égyptiennes, c’est le merveilleux, le fantastique, dont l’éclat, si une ferme raison ne le dirige, est toujours suspect et fragile.

Toutefois une vive intelligence n’a pas manqué ; aussi ne doit-on pas croire que les vicissitudes ordinaires aient fait défaut à l’histoire égyptienne. Ce peuple a eu visiblement son adolescence, sa virilité, son âge mûr. Les chronologistes distinguent désormais dans ses annales, qui se complètent chaque jour, un ancien, un moyen et un dernier empire. On le voit partagé d’abord en beaucoup d’états gouvernés par des dynasties parallèles et réunis ensuite en une vaste et forte monarchie ; il subit la domination étrangère, celle des Hycsòs envahisseurs, avant de se répandre lui-même au dehors par des invasions victorieuses. La distinction de ces périodes est confirmée par l’histoire de l’art. On acceptait jadis pour types de la sculpture nationale ces statues des dernières époques qui offraient, avec leurs bras collés aux corps, des visages et des attitudes raides et impassibles ; mais les découvertes des archéologues nous ont révélé toute une période primitive pendant laquelle cet art égyptien s’est montré de fort libre allure. Qu’on visite au musée de Boulaq les statues en