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avoir dramatisé, dans les Mystères de Paris, les exploits des escarpes et des chourineurs, il cherchait de quelle façon on pourrait concilier le juste châtiment du crime et la satisfaction des exigences de la sûreté publique avec l’amélioration morale des scélérats les plus endurcis ? La solution de M. Eugène Sue, c’était, on s’en souvient, « l’aveuglement » substitué à la guillotine. Cette solution philantropique n’eut point le succès que l’immense retentissement des aventures du prince Rodolphe semblait lui promettre, et il ne se trouva point, même dans les jeunes républiques nègres de la côte de Guinée, une législature disposée à remplacer la peine de mort par la privation de la vue.

L’échec de M. Eugène Sue en matière de législation pénale n’a point découragé M. Alexandre Dumas fils. L’illustre auteur de la Dame aux Camélias, du Demi-Monde et de la Femme de Claude n’a pas voulu se borner à faire de la morale au théâtre. Tantôt dans une préface, tantôt dans une simple lettre, il a abordé, avec un entrain irrésistible et la sûreté de main d’un homme accoutumé à dénouer les écheveaux les plus embrouillés, les questions morales et pénales que soulèvent l’adultère et la séduction ; mais, s’il procède d’Eugène Sue, ce n’est point par les tendances philanthropiques. M. Alexandre Dumas est un moraliste de l’école de Zenon et un criminaliste de l’école de Dracon. Il ne recule pas, lui, devant la peine de mort, on pourrait même lui reprocher de n’en être pas assez économe. Tandis que le code se contente de l’appliquer, — encore est-ce en admettant des circonstances atténuantes, — aux cas d’assassinat et d’incendie, il n’hésite pas à l’étendre à l’adultère féminin, et telle est même à ses yeux la monstruosité de ce dernier crime, qu’il saute, dans son impatience de justicier, par-dessus la maxime routinière qui défend de se faire justice soi-même. Tue-la, crie-t-il au mari offensé, c’est-à-dire fais-toi juge dans ta propre cause et fais-toi bourreau. Il n’y a plus aujourd’hui en France qu’un seul exécuteur des hautes-œuvres ; si les théories pénales de M. Alexandre Dumas venaient à prévaloir un jour, il pourrait y en avoir autant que de maris offensés. Nous voici bien loin de « l’aveuglement » philanthropique de M. Eugène Sue. Sur le chapitre de la séduction et de ses conséquences, M. Alexandre Dumas n’est pas plus accommodant. Tout le monde sait à quelle occasion il a jugé opportun de donner sa consultation en ces matières. Grâce à M. Alexandre Dumas, l’affaire Marambot est devenue aussi populaire que l’Affaire Clemenceau. Un séducteur peu délicat refuse d’épouser la fille qu’il a mise à mal, le père donne un coup de couteau au séducteur ; voilà un fait divers assez vulgaire et qu’aucune législation pénale n’empêchera absolument de