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phrase est répétée : ils distinguent les différentes propositions par les verbes qui les terminent et ils arrivent à découvrir les particules par leur voisinage habituel avec certains cas ou certains modes. Une fois le pronom relatif et les pronoms démonstratifs reconnus, il leur devient facile de faire la construction. Nous devons convenir que les Tables eugubines se prêtaient tout particulièrement à cette méthode d’interprétation par la répétition fréquente des mêmes formules, par la régularité de la construction, par la fixité d’un langage où tous les termes ont en quelque sorte une valeur consacrée. Il faut ajouter certaines circonstances extérieures non moins précieuses : la parfaite conservation du texte et la présence de la même inscription en deux rédactions différentes; mais il est juste de dire que les deux savans interprètes ont remarquablement mis à profit ces heureuses circonstances. Plus préoccupés de la grammaire que du vocabulaire, il leur arrive de raisonner d’une façon convaincante sur la construction d’une phrase sans connaître le sens des mots. La plupart du temps, ils serrent le texte d’une telle façon qu’au moment où ils donnent leur interprétation, elle a déjà été pressentie et devinée par le lecteur. Ce qui, outre ces qualités de méthode, donne une valeur durable à leur ouvrage, c’est leur résolution d’écarter les conjectures et d’omettre tout ce qui n’a pas le caractère de la certitude : ne se lassant pas de déclarer qu’ils ignorent, ils aiment mieux rester en-deçà des limites permises que de courir le risque de les dépasser. Aussi les parties traduites par eux sont-elles en général restées acquises à la science.

Cependant cet ouvrage, si remarquable qu’il soit, a aussi ses défectuosités. La réserve extrême que s’imposent les auteurs fait que près de la moitié des inscriptions n’est pas traduite. Ils poussent si loin la fidélité aux règles de phonétique et de grammaire posées par eux en commençant, que, pour n’avoir pas à s’en écarter, ils aiment mieux corriger le texte que de retoucher leurs paradigmes. Un certain dédain des explications qui se présentent les premières à l’esprit fait que les auteurs ont parfois préféré à la simple vérité des théories compliquées et invraisemblables. Malgré ces défauts, l’ouvrage d’Aufrecht et Kirchboff est et restera la base des études à venir sur les Tables eugubines.

C’est pour avoir trop peu imité ce modèle que E. Huschke, qui publia en 1859 un gros volume sur les mêmes inscriptions, fit une œuvre à peu près inutile. Son livre marque un retour dans la voie de l’interprétation aventureuse. Les rapprochemens qu’il fait sont ordinairement contraires à toutes les règles de la linguistique. L’utilité de la grammaire comparée (on le sent clairement en lisant ce livre) n’est pas tant de suggérer des comparaisons, car de tout temps les rapprochemens de mots se sont offerts en foule à l’esprit