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certains vestiges des choses saintes à jamais évanouies. Le succès d’une mission archéologique peut même se mesurer au nombre ou à l’importance des découvertes de cette nature. Ce n’est certes point pour en extraire des blocs de pierre sculptés qu’on remue en tout sens le sein de la terre : c’est pour rendre à la lumière l’idée humaine qui s’y est empreinte.

La plus haute de ces idées, l’idée religieuse, a laissé en Phénicie des monumens d’une importance capitale. La foi et les symboles de Canaan ont sans doute souffert plus qu’on ne saurait dire de l’irrémédiable désastre des antiquités de ce peuple ; on en sait assez cependant pour affirmer que de très bonne heure, au point de vue religieux comme à tous autres égards, la Phénicie fut une province de l’Égypte. Toutefois il arriva en ce pays ce que nous savons être arrivé chez les Hébreux : c’est moins l’essence de la religion que sa forme extérieure, souvent tout officielle, l’économie des sanctuaires, les costumes et les rites sacerdotaux, les menus objets de piété, qui ont subi cette influence. Une réelle affinité de race et de langue rapprochait, nous l’avons dit, les habitans de la vallée du Nil des Sémites de l’Asie occidentale. Dès une époque très reculée, plusieurs divinités semblent avoir été communes aux uns et aux autres. Ainsi le dieu révélateur phénicien Taaut est le Thoth égyptien ; ce dieu, confondu plus tard avec Eschmoun et Kadmus, paraît même sur la plus ancienne des intailles phéniciennes connues, sur un scarabée en agate, peut-être du VIIIe siècle, qui a été décrit par M. de Vogué : l’Egyptien Thoth à tête d’ibis porte en sa main un rouleau de papyrus ; en face, le dieu Khons tient un sceptre à tête de cucupha ; la croix ansée est entre les deux divinités ; au-dessus le soleil et la lune. Le style des figures est tout égyptien ; nulle trace encore d’influence assyrienne. Le mythe d’Isis et d’Osiris fut d’autant plus facilement adopté par les Phéniciens, par ceux de Byblos en particulier, qu’il est impossible d’en méconnaître la parenté, sinon l’identité primordiale, avec celui de Baalath et d’Adonis. Un curieux fragment égyptien en basalte vert, sorti des fouilles de Tortose, présente sur la base une inscription hiéroglyphique qui fait mention du temple de la déesse Bast. Ainsi que l’a judicieusement remarqué M. H. Brugsch, ce ne peut être par hasard que ce fragment a été trouvé sur le territoire d’Aradus. Bast avait un temple à Memphis, où les Phéniciens habitaient un quartier[1]. « Il y a là un rapport de cultes, ajoute le savant égyptologue, et l’on a toute raison de supposer que la déesse Astarté, révérée à Aradus, était identique avec la déesse Bast du quartier de Memphis nommé Anch-ta. » Nous croyons que ce

  1. « Le camp des Tyriens. » Hérodote, II, 112.