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quelques coups violens, suivis de secousses, ce qui faisait aussitôt marcher la montre ; quant aux deux autres, il n’en évitait les fâcheuses conséquences que par des comparaisons constantes avec le soleil et les étoiles, et aussi en collant sa face contre la vitre des fenêtres du voisinage jusqu’à ce qu’il pût distinguer l’heure que marquait à l’intérieur le cadran vert. Il faut ajouter que, le gousset de Oak étant d’accès difficile et pénible, vu la situation assez élevée qu’il occupait dans la ceinture du pantalon, il fallait de toute nécessité, pour en extraire la montre, jeter le corps de côté et, par suite de l’effort requis, comprimer la bouche et la figure en une multitude de plis : la montre, tirée par sa chaîne, arrivait alors comme le seau du puits.

« Oak venait d’atteindre cette époque de la vie où, quand on parle d’une personne, le mot « jeune » cesse d’être le préfixe du mot « homme. » Il était à la période la plus brillante de l’existence masculine, car son intelligence était nettement distincte de ses émotions : il avait passé le temps où, sous l’influence de la jeunesse, elles se confondent et prennent le caractère d’impulsion, et il n’était pas encore arrivé cependant au moment où elles se réunissent de nouveau pour prendre, sous l’influence d’une femme et d’une famille, le caractère de préjugés. En un mot, il avait vingt-huit ans, et il était garçon. »

Voilà le héros de M. Hardy. Il n’est pas beau, surtout quand il sourit, et ce n’est pas dans ses habits du dimanche qu’il faut le contempler ; mais, lorsque sur la cime d’une meule de froment embrasée il risque sa vie pour sauver une récolte qui n’est pas la sienne, ou lorsqu’il réchauffe dans sa hutte les agneaux qui viennent de naître, il y a dans tous ses mouvemens une énergie tranquille et une précision qui ont bien aussi leur grâce, s’il est vrai que la convenance entre les choses et l’usage qu’on en fait soit à la base de toute beauté. Quant à son âme, elle est de la bonne trempe, et la jolie fermière Bathsheba Everdene regrettera un jour de ne pas s’en être plus tôt aperçue. C’est en effet, on le devine, une histoire d’amour que l’auteur de Far from the madding crowd a contée, — une bien vieille histoire, celle de la Belle et la Bête ; mais il l’a fait avec tant de distinction, avec tant de confiance dans l’éternelle nouveauté du sujet, qu’il semble que nul ne l’ait dite avant lui de la même façon. A tout le moins n’a-t-il pas pris son public en traître, car dès les premières pages on sait que le fermier ou plutôt le berger Oak est passionnément épris de sa voisine, la nièce du fermier Everdene, et que celle-ci n’est pour le moment passionnément éprise que d’elle-même. La connaissance s’est faite sur la grand’route et s’est continuée aux champs. Un jour qu’il suivait le chemin de Norcombe à Casterbridge, Oak a entrevu, tout au haut