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sique de la géographie qu’on appelait politique, et ainsi la science manquait de base ; on négligeait d’ailleurs de vivifier par l’histoire l’interminable litanie des subdivisions administratives, et ainsi la science manquait de couronnement. Certes il y a là de quoi s’étonner, surtout si l’on considère que, dans un siècle aussi curieux d’histoire que le nôtre, nulle part peut-être, pas même en Allemagne, les historiens n’avaient plus éloquemment qu’en France prêché d’exemple l’intime union de l’histoire et de la géographie. Entre tant de noms à choisir, il suffira de citer ceux des deux historiens contemporains les plus dissemblables à coup sûr qu’il se puisse, et de rappeler ou cette admirable et vivante description du sol national qui ouvre le second volume de l’Histoire de France de Michelet, ou ce tableau d’un trait si ferme, d’un relief si nettement accusé, de l’étude duquel M. Mignet, dans son Introduction aux Mémoires relatifs à la succession d’Espagne, a tiré, comme par une suite de déductions mathématiques, l’histoire d’Espagne tout entière.

C’est qu’au fond il n’est pas de grande question de l’histoire générale qui, par degrés, de proche en proche, ne se réduise insensiblement à quelque question de géographie. Est-ce à dire qu’il s’agisse ici de restreindre le domaine de la liberté de l’homme et de mettre hors l’histoire toute recherche des causes d’ordre moral ? Non sans doute, mais il est pourtant certain que toute la force de notre liberté ne saurait nous soustraire par exemple à la fatalité des lois qui gouvernent la distribution des espèces, ce qui revient à dire en termes généraux que l’explication dernière des événemens de l’histoire est dans la réaction perpétuelle des milieux géographiques sur l’homme moins civilisé, et de l’homme plus civilisé sur les milieux géographiques : d’une part, « les peuples dans leur état passif d’autrefois, » et de l’autre « les peuples dans leur rôle actif et reprenant le dessus par leur travail sur le milieu qui les environne ; » je ne saurais mieux faire que de citer ici les mots mêmes qu’emploie M. Élisée Reclus dans l’introduction de sa Nouvelle Géographie universelle, et qui dès le début en marquent le caractère nouveau. Si quelque chose en effet donne à l’œuvre sa physionomie, ce sont ses dimensions sans doute, c’est l’universalité de connaissances dont elle porte témoignage, mais surtout c’est ce dessein fermement suivi de lier l’histoire de l’homme à l’histoire de la planète, et pour la première fois de rassembler en un corps les membres dispersés de la géographie.

De cette conception philosophique de la science, il est résulté un plan, la chose du monde, je crois, dont se fussent le moins préoccupés nos géographes : j’entends une juste distribution des parties, une subordination systématique des détails à l’idée de l’ensemble, une perspective savante. On peut se reconnaître dans le livre de M. Reclus. Ce n’est pas au hasard d’une classification consacrée par la routine qu’il avance, débutant, selon la formule, par la géographie de la France sous prétexte