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Perses, le grand roi. Alfred de Musset, même en traduisant du latin, conserve son indépendance, son vers marche dans sa libre allure. Horace, écrivain condensé, distillant par gouttes d’or son élixir de poésie, ne saurait jamais être pour lui, comme pour La Fontaine, qu’un modèle d’occasion[1]. Ovide, à la longue, répondrait mieux à sa nature. Je cherche parmi les Latins et n’en trouve aucun qui me le rappelle davantage.


Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère,
Secouait vierge encor les larmes de sa mère
Et fécondait le monde en tordant ses cheveux,


est un motif d’Ovide, et d’ailleurs que de rapprochemens : cette indolence aristocratique dans le faire et dans le maintien, ce goût de la beauté plastique, ces voyages à la recherche d’impressions d’art ! Rappelons-nous la tournée en Grèce avec le poète Macer, en Sicile ses curiosités de dilettante. Plus que Virgile, à qui sur tout le reste il est si inférieur, Ovide a le sens de la statuaire et de la peinture. Lorsqu’il chante le combat des centaures, il a présente devant les yeux la frise d’Alcamène. La Vénus Anadyomène, c’est par lui que nous la connaissons, par lui que nous savons qu’une copie de ce chef-d’œuvre ornait les appartemens d’Auguste. Doctus et operosus, dit-il pour caractériser Myron, idéaliste statuaire de la force et de la beauté masculines.


Vénus au fond des mers dormirait ignorée,
Si l’art d’Apelle, un jour, ne l’en eût retirée…


L’homme qui a pu écrire ce vers tout moderne n’avait pas un médiocre sentiment de la puissance créatrice attribuée à la sculpture, et quelle description plus charmante donner à la Vénus de Médicis ?


Ipsa Venus… Quoties velamina ponit,
Protegitur læva semireducta manu.


Ovide n’est pas seulement un poète, c’est en même temps un artiste, et voilà pourquoi je le compare à de Musset. L’auteur de Rolla, retrouvant partout ses souvenirs de Florence et de Venise, s’émeut à l’idée de Michel-Ange et de Raphaël, de Titien et de Véronèse, comme l’auteur des Métamorphoses à l’idée de Phidias, d’Apelles

  1. Rapprochez de cette traduction l’imitation que La Fontaine a donnée de l’ode à Pyrrha :


    Dans cet antre secret tout parfumé de roses,
    Philis, que faisiez-vous avec ce beau garçon ?
    Il vous parlait, il sentait bon,
    Ne s’est-il pas passé quelques petites choses ?