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circulation. Je ne connais rien qui fasse revivre le passé, avec ses illusions, ses excès, ses grandeurs et ses petitesses, comme la lecture d’un vieux journal, rien non plus qui dispose à une certaine philosophie mélancolique comme de comparer l’ardeur des anciennes disputes avec la futilité de l’objet ; mais il est surtout difficile de parcourir aujourd’hui sans quelque tristesse la série des numéros du Globe. Je défie qu’on poursuive jusqu’au bout cette lecture sans constater la décadence et surtout la fatigue intellectuelle de l’époque où nous vivons. Quelle ardeur chez ces écrivains, chez ces orateurs, qui ont grandi avec le siècle et dont nous avons vu s’éteindre la magnifique vieillesse ! quelle assurance dans la vérité ! quelle confiance dans la puissance des idées ! Avec quelle sincérité on gémissait sous la tyrannie de M. de Villèle ! avec quelle sécurité de conscience on se portait ensuite à l’attaque de M. de Martignac ! Quelle foi on nourrissait dans les principes de 89 et dans leur triomphe définitif ! A travers les naufrages successifs que notre société politique a éprouvés, quelle part chacun de nous a-t-il sauvée de ces croyances ? On poserait le dire, ni s’interroger soi-même trop à fond de peur d’être amené bientôt à constater ce qu’un écrivain hardi a appelé ici même « la banqueroute de la révolution française ! »

Ces trois années de collaboration au Globe initièrent Sainte-Beuve à tous les raffinemens de la doctrine en matière de politique et de littérature. Il s’est plu cependant à contester plus tard la part prépondérante que les doctrinaires avaient prise à la fondation et à la rédaction du Globe, ainsi que leur influence sur le développement de son esprit. Trois années s’étaient écoulées depuis la révolution de 1830 ; déjà Sainte-Beuve était en susceptibilité et presque en querelle ouverte avec les doctrinaires, auxquels il reprochait peut-être en secret de ne l’avoir point associé à leur triomphe politique. « Il semble aujourd’hui, écrit-il à cette date, à ouïr certaines gens, que le Globe n’eût pour but que de faire arriver plus commodément au pouvoir MM. les doctrinaires, grands et petits, après avoir passé six longues années à s’encenser les uns les autres. Peu de mots remettront à leur place ces ignorances et ces injures. » Et il continue en s’efforçant de rabaisser le rôle des doctrinaires au Globe. « La bourse de M. Lachevardière (l’imprimeur), l’idée de M. Pierre Leroux, l’impulsion de M. Dubois, voilà les données primitives ; la génération des salons, qui s’y joignit ensuite, n’étouffa jamais l’autre. » En revanche, il s’est montré plus sincère dans la note du troisième volume des Portraits littéraires, que j’ai déjà citée. « De là, dit-il (c’est-à-dire de l’école sensualiste), je suis passé par l’école doctrinaire et psychologique du Globe, mais en faisant mes réserves