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en Chine surtout qu’il s’en fait une consommation considérable. Celui du Japon, et notamment celui qui pousse sur la côte ouest de Yézo, est préférable à tout autre. Après avoir fait sécher ces longues lanières brunes, on les enveloppe par balles et on les charge sur les jonques, qui les transportent jusqu’aux ports du Tse-kiang ou du Shan-tung. Les Chinois en font une gelée dont ils sont très friands, mais cette marchandise donne à leurs restaurans en plein vent l’aspect repoussant d’une droguerie mal tenue. Les Japonais mangent de préférence une algue verte dont ils font des sortes de tartes garnies de riz ou de poisson. En passant à Issoya, je vis des femmes préparer dans un mortier une quantité de cette pâte, puis la dépecer par petites boules qu’elles entouraient de farine de haricots ; c’est un régal qu’on se proposait d’offrir aux morts, dont la fête approche (septième mois de l’ancien calendrier lunaire, observé encore dans ces contrées).

La pêche est à peu près la seule occupation des habitans, et là, comme partout, on constate avec quelle difficulté l’homme de mer s’arrache à cette oisiveté intermittente. Quand vient la saison, on part pour la pêche du saumon, on le rapporte salé, on l’expédie, et puis chacun retombe dans sa paresse ; le gain sert à faire ample provision de saki, venu de Yeddo ou de Kioto, car le pays n’en produit pas ; puis on se met en fête jusqu’à ce que le dernier mommé d’économie ait disparu. On ne voit aucune autre industrie locale, excepté celles qui s Y rattachent directement, comme la construction des canots, la préparation des cordes de chanvre sauvage, des filets, des longues fourches avec lesquelles on charge le sea-weed. On ne demande presque rien à la culture ; quelques condimens, comme les oignons, les concombres, une sorte de rave appelée daïkon, quelques plants de haricots ou de sarrasin, sont les seuls végétaux alimentaires que j’aie vus, si j’en excepte toutefois les mûres sauvages et plusieurs pousses d’arbres dont on fait des boissons ou des gélatines. Quant au riz, le fond de la nourriture, il est tout entier dû à l’importation.

Rien dans le caractère ni les mœurs ne rappelle cette bonhomie naturelle bu affectée qui nous avait tant réjouis l’an dernier[1] le long du Nakasendo. L’accueil fait à l’étranger prouve qu’il excite encore plus de défiance et de mauvaise humeur que de curiosité : les règles de la plus élémentaire politesse sont mises de côté à son égard ; s’il salue en entrant, on ne daigne pas détourner la tête ; s’il dit adieu en partant, on feint de ne pas entendre. La tentation de l’examiner de près le cède à la crainte de trop se familiariser

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1874.