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importance nommé Upets. Dans ce vaste bassin, si merveilleusement poissonneux, il existe à peine quelques habitans : 93 Aïnos sur le cours supérieur et peut-être 150 dispersés dans la plaine inférieure. Yébets, avec ses six feux et ses 12 ou 15 habitans, peut donc passer pour la capitale de tout le district.

Je vais à la plus haute de ces cabanes de feuillage, déjà à demi obscures ; un homme d’une quarantaine d’années se lève, me salue du geste théâtral que j’ai décrit, et m’invite à m’asseoir ; je lui explique que, pris par la nuit qui approche et la pluie qui tombe, je viens lui demander l’hospitalité pour cette nuit. La langue des Aïnos diffère essentiellement du japonais, mais beaucoup comprennent le japonais vulgaire ; l’hôte me répond que sa maison est bien humble, mais qu’elle est à ma disposition. On transporte dans la hutte déjà encombrée le plus indispensable de mon bagage, et je m’installe sur l’une des quatre banquettes qui servent à s’asseoir le jour, à se coucher la nuit. Elles se composent d’une large planche posée sur quatre pieds à 30 centimètres du sol et recouverte d’une natte de paille. La terre, qui forme seule le plancher de cette pauvre demeure, est couverte des cendres qui voltigent du foyer, établi au centre sur quelques pierres. Deux bûches de bois vert brûlent avec une fumée insupportable, qui offusque les yeux autant que l’odorat. Tandis que mon koskaï se désole de ne pas trouver les mêmes commodités que dans une auberge du Tokaïdo, j’essaie d’inventorier l’inextricable fouillis de choses qui pendent aux parois ou au toit, qui trament sur les banquettes, roulent sous les pieds ou s’entassent dans les coins. Dans un angle obscur sont de vieilles écuelles de laque, produit, paraît-il, d’une ancienne industrie locale disparue ; au mur pendent des harpons d’une forme spéciale pour prendre le saumon dans le filet comme avec une pincette, — des pagaies, des filets, des couteaux de fer éraillé dans une gaine de bois grossièrement sculptée, puis un sabre et un poignard de combat, fabriqués autrefois par les Aïnos, reliques des ancêtres qu’on ne consentira pas à céder à l’étranger, — des vêtemens de peau d’ours et de cerf, des gourdes, un arc de bois de fer, des flèches d’os empennées de plumes de corbeau et munies d’une pointe de bambou, avec lesquelles on tue l’ours. Au-dessus du foyer pendent des saumons salés qui s’enfument, et sur des claies s’étalent des entrailles de cerf qui achèvent de pourrir. Une marmite de fer et quelques sébiles complètent le mobilier.

La femme et la fille de mon hôte ne révèlent la coquetterie de leur sexe que par la large moustache peinte sur leur lèvre ; encore l’épouse semble-t-elle négliger cet ornement crue la nature elle-même s’est chargée de lui fournir. La jeune fille doit avoir treize