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développer devant les étudians de l’académie de Lausanne l’histoire de Port-Royal, il était trop tard pour en changer. Son siège était fait, et c’était d’après le tracé primitif que les opérations devaient nécessairement se dérouler. De là ce caractère singulier, et, pour tout dire, assez peu attrayant des deux premiers volumes de Port-Royal, les seuls dans lesquels Sainte-Beuve ait maintenu la forme et le ton qu’il avait donnés à son cours. A chaque page, on y sent l’effort, la rhétorique, je serais presque tenté de dire pour le coup la gageure. C’était bien en effet une gageure que de faire accepter jusque dans ses détails cette glorification de Port-Royal à un auditoire composé tout entier de protestans assez enclins à la malveillance vis-à-vis de tout ce qui venait de Rome. Aussi que d’habiletés oratoires, que de précautions, que de savoir-faire à dissimuler ce qui est excessif, à mettre en lumière ce qui peut paraître acceptable ! Et quand il n’y a pas moyen de pallier, quand on se trouve en présence d’un acte éclatant, comme par exemple de « la journée du Guichet, » quels tours de force pour distraire immédiatement l’attention de l’auditeur, pour lui enlever le temps de juger au point de vue purement humain la conduite de la mère Angélique en détournant son attention sur des aperçus purement littéraires, en comparant l’évanouissement de la jeune abbesse à celui d’Esther, pour passer d’Esther à Polyeucte, de Polyeucte à Saint-Genest, et pour ramener enfin son lecteur à Port-Royal en se détournant un moment vers Amélie et Lélia ! Et ce ne serait rien, si l’on ne sentait que Sainte-Beuve soutient aussi la gageure avec lui-même. On croit à chaque instant que le sceptique va faire ses réserves, que le critique va perdre patience ; mais non : il contient toujours cet interrupteur incommode, il sait lui imposer silence. Si parfois, dans une noté glissée au bas de la page, il lui accorde la parole, c’est pour le réfuter lui-même aussitôt. Les deux premiers volumes de Port-Royal ne sont ni une histoire ni un cours, c’est la plaidoirie d’un avocat qui n’en est ni à sa première ni à sa dernière cause, c’est la thèse d’un docteur en Sorbonne sur un point de casuistique dont il ne serait qu’à demi persuadé. Il y a même quelques réserves à faire au point de vue de la bonne foi intellectuelle contre ce procédé qui consiste à accepter dans toutes leurs conséquences les exagérations d’une doctrine, à confondre volontairement ces exagérations avec la doctrine elle-même, à condamner en leur nom les sentimens les plus droits, les plus naturels du cœur humain, en les représentant comme autant de mauvaises herbes qu’il faut couper dans la racine, puis, une fois ce travail de désolation accompli, à dire d’un ton dégagé : « Vous savez, c’est affaire à vous. Quant à moi, décidément je n’en suis pas. » Voilà pourtant ce qu’a fait Sainte-Beuve. Aussi je dois