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devait finir par se confiner dans l’ermitage assez peu fréquenté de la rue Montparnasse. C’est en quelque sorte sa dernière phase d’humilité avant la cruelle revanche.

Cette existence nouvelle n’eut cependant pas pour conséquence de distraire un instant Sainte-Beuve de ses occupations littéraires. C’était sa prétention, ce fut en effet son honneur d’avoir été toute sa vie un travailleur obstiné et infatigable. Il continuait sans désemparer la série de ses portraits, et il faisait figurer dans la suite de sa galerie sans cesse allongée les contemporains les plus illustres. Les articles qu’il a consacrés aux hommes que les circonstances mettaient en évidence ne laissent point encore transpercer cette amertume et ce fiel qui devaient déborder plus tard comme d’un réservoir longtemps fermé. Quand il parle de M. de Barante, de M. Mignet, de M. de Rémusat, de M. Guizot, de M. Villemain, de M. Cousin lui-même, c’est sur le ton d’une bienveillance respectueuse qui n’exclut ni la dignité du ton, ni la liberté du jugement. Les articles que nous venons de citer sont des modèles d’urbanité et de critique contemporaine. Ses relations lui imposaient en effet une attitude nouvelle vis-à-vis du régime auquel il avait commencé par témoigner un si injurieux et un si injuste dédain. En 1837, il avait refusé la croix de chevalier de la Légion d’honneur que lui avait conférée M. de Salvandy ; mais il se laissa nommer en 1840 par M. Cousin conservateur à la bibliothèque Mazarine, place assurément bien modeste, et que d’autres, avec moins de titres, auraient peut-être dédaignée. Cependant, comme un certain air d’indépendance et d’opposition ne nuit jamais à la popularité, il refusa une seconde fois en 1843 la croix que M. Villemain voulait le contraindre d’accepter. A peu de temps de là, il reçut en quelque sorte la consécration de sa renommée croissante par sa nomination à l’Académie française en remplacement de Casimir Delavigne. Cette élection n’eut pas lieu sans difficulté, et Victor Hugo (Sainte-Beuve croyait du moins le savoir) vota onze fois contre lui. Ce fut cependant Victor Hugo qui prononça, en le recevant, le discours d’usage : « La singularité de cette situation, a écrit Sainte-Beuve, attira beaucoup de monde à cette cérémonie. »

Pendant ces mêmes années, Sainte-Beuve se consacrait à la continuation de son Histoire de Port-Royal, dont le troisième volume, terminé depuis quelque temps, ne parut qu’en 1848. Ce troisième volume, qui est consacré presque tout entier à Pascal, marque à cette époque le point culminant du talent de Sainte-Beuve. C’est peut-être celui des six volumes de Port-Royal qu’on peut considérer comme son chef-d’œuvre. Aux difficultés déjà si grandes du sujet étaient venues en effet se joindre celles qui naissaient des