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une place d’ombre, un vieil Arabe, vêtu et coiffé de vert, dont la longue et opulente barbe blanche balaie la ceinture, est accroupi sur un volumineux Coran. Il penche et relève avec un balancement rhythmé son large front, orné d’énormes besicles, sur le texte sacré, dont il bourdonne à mi-voix les versets. C’est avec la palette et la brosse qu’il faudrait rendre ces motifs originaux, ces bonnes fortunes du regard, qu’on rencontre fréquemment ici et qui tiennent lieu de bien des satisfactions absentes.

Nous parcourons les bazars, dont une foule compacte monte et descend sans interruption les artères étroites. Pour nos yeux, faits au spectacle du pont de Galata, cette lanterne magique où passe et repasse tout l’Orient, le mouvement de Damas manque un peu de variété et d’imprévu. Sauf quelques Persans et quelques Juifs, c’est toujours le type arabe dans son immuabilité traditionnelle, petit et chétif sous le haillon de poil de chèvre du Bédouin, noble et majestueux sous l’abaye tissée d’or du cheik druse. Les marchands de Bagdad, les chameaux chargés de tapis, s’engouffrent sous la haute porte ogivale de ce beau khan Assad-Pacha, bâti au XVIIe siècle dans le plus pur goût moresque. Les chrétiens, grecs ou maronites, tiennent boutique d’étoffes européennes, hélas ! pour la plupart ; les musulmans vendent des conserves d’abricots, des sucreries renommées, des meubles en marqueterie, des harnais, des pelleteries, des armes.

Le soir, nous suivons la foule dans les cafés, où elle se presse pendant les nuits de ramazan. Ce sont de larges salles sous des voûtes écrasées, éclairées par les lampes fumeuses qui pendent aux nervures. Sur la terre battue, des nattes et des tabourets attendent les gens du commun, tandis que les délicats et les personnages en place se hissent sur une banquette circulaire qui règne à deux ou trois pieds du sol. Tous aspirent silencieusement le calioun, composé de deux tiges de roseau emmanchées à angle aigu dans un œuf de métal ou de bois noir, et l’arrosent d’innombrables tasses de café. Les amateurs de spectacle suivent les faits et gestes cyniques, commentés par des plaisanteries risquées, de plusieurs kara-glieuz installés aux angles de la salle ; les mélomanes écoutent un orchestre uniformément composé d’une darbouka, d’une espèce de rebec et d’une série de cordes tendues sur une table de bois, qui recommence éternellement l’unique mélopée arabe ; des chanteurs l’accompagnent avec ces gammes de tête dont les Orientaux ont le secret, et racontent sur le rhythme mélancolique les amours, les combats, les drames du désert.

Nous avons rendu visite à Abd-el-Kader. L’émir, strict observateur des prescriptions religieuses, se cloître durant tout le ramazan