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R. — A peu près comme les nôtres ; mais elles n’étaient pas aussi bien exécutées. Le plus grand défaut de ces machines, autant que j’ai pu le voir d’après des observations faites à la hâte, était une moindre précision dans les pièces et la qualité de l’exécution.

D. — Les filateurs français vous ont-ils manifesté le désir de. se procurer nos machines à filer le coton ?

R. — Oui ; autant que j’étais en état d’en juger, l’opinion semblait prévaloir que les machines anglaises étaient infiniment supérieures aux machines françaises.

Comme tout cela est dit catégoriquement et avec la conscience d’une supériorité réelle ! M. Fairbairn a raison ; les Anglais étaient nos maîtres alors, ils le sont encore, quoique sur divers points nous nous en soyons rapprochés ; mais où M. Fairbairn a tort, c’est dans les réflexions que lui inspire ce parallèle. De tout ce qu’on vient de lire, il tirait alors cette conclusion inadmissible, qu’il eût été dangereux pour l’Angleterre de laisser à ses métiers de filature un libre accès vers les marchés de France au lieu de les assujettir à des services exclusivement nationaux par la rigueur des lois pénales. Rien de moins libéral que de tels procédés, et on ne saurait croire à quel point ils étaient poussés. Non-seulement on prohibait et on saisissait sur les côtes anglaises les machines au moment de la sortie, on s’emparait même des plans qui eussent permis de les imiter. M. Penot en cite un exemple : un Français, M. Charles Albert, avait pris un croquis, avec du suif fondu sur son linge de corps bien repassé et soigneusement plié ensuite, d’un assortiment de filatures, espérant échapper ainsi aux recherches vigilantes de la douane. Au moment où il quittait le territoire anglais, la fraude fut découverte, et M. Charles Albert la paya de plusieurs années de prison. Rentré plus tard à Strasbourg, il se trouvait à peu près sans ressources dans un âge avancé quand la Société industrielle, touchée de son malheur, vint libéralement à son aide pour reconnaître ce qu’il avait souffert dans l’intérêt des filatures françaises ; elle lui servit une pension jusqu’à sa mort et paya ensuite celle de son petit-fils au lycée comme élève interne jusqu’à ce que ce jeune homme eût terminé ses études.

M. William Fairbairn, en penchant vers la prohibition, prenait donc parti pour une législation surannée, mais il parlait du moins en homme poli et bien élevé. Tel n’était pas le cas d’Adam Young, le second témoin que cite l’enquête du parlement. Celui-ci était un simple ouvrier cardeur qui venait de passer deux ans en Alsace dans la manufacture de Nicolas Schlumberger et Cie à Guebwiller, où il avait été engagé comme contre-maître au salaire de 12 francs par jour. C’était un beau denier et, avec un peu d’esprit d’épargne, une somme assez ronde à recueillir. Adam Young n’en semble pas