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l’une des principales fabriques de la ville ; le cas est grave ; plusieurs hommes ont été blessés, l’un d’eux gravement. On s’assemble et l’on avise : on aura une inspection et un inspecteur payé pour les faits analogues. Il placera son contrôle à côté de celui des fabricans ; il aura son droit de surveillance et aussi sa part de responsabilité. Chaque année, il fera un rapport, citera les faits et en dira les causes ; sa mission sera de les prévenir autant que possible. C’est là une mesure bien simple ; elle a suffi pourtant, les cas d’accident sont devenus beaucoup plus rares. Un autre jour, le chef d’un grand établissement fixe sa pensée sur le sort des femmes en couches ; à l’instant, il décide que, quinze jours avant l’accouchement et quinze jours après, elles cesseront tout service de fabrique, et que leurs salaires n’en courront pas moins intégralement. Dans une autre circonstance, conseil pris avec les ouvrières du tissage : il leur propose de consacrer à cette besogne, qui se paie à la pièce, une heure de moins par jour (onze heures au lieu de douze) ; elles doivent, ajoute-t-il, aboutir à un résultat équivalent. Elles acceptent, et le calcul se vérifie ; ainsi de tout quand les fabricans de la Haute-Alsace s’en mêlent. C’est qu’ils ont la main heureuse, dira-t-on ; oui, mais on n’a la main heureuse qu’à la condition d’être habile et attentif à ce qu’on fait quand il s’agit de manier des instrumens, animé de l’amour du bien quand il s’agit de manier des hommes.

Voilà les souvenirs, et on peut ajouter les bons exemples laissés chez nous comme autant de gages par cette portion de la famille française qui nous a échappé dans un jour de vertige où les plus hautes responsabilités s’en allaient à l’abandon. Lamentable histoire qu’il est bon de rappeler de loin en loin, dussent les cœurs s’en gonfler d’amertume ! Voir disparaître et passer en d’autres mains, du même coup de filet, tant de colonies florissantes et de colons ingénieux, comment s’y résigner sans murmure ? Comment se défendre d’un retour involontaire vers le passé ? C’est le sens et la conclusion de ces pages, où il ne faut voir qu’un dernier adieu à des populations dont on a souvent étudié le sort et qu’on a beaucoup aimées ! Elles ont été heureuses avec nous et par nous ; que Dieu les assiste dans leurs destinées nouvelles. Nous les suivons des yeux ; il ne pourra rien leur arriver qui nous soit indifférent : leur donner des conseils, nous n’en avons plus le droit, et notre main d’ailleurs n’y serait point heureuse : l’essentiel, c’est qu’il demeure constant de part et d’autre que, malgré notre dispersion, il reste toujours un lien entre nous, le plus fort, le plus indissoluble des liens, celui de nos regrets et des douleurs qui nous sont communes.


Louis REYBAUD.