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M. Dufaure d’aborder la discussion du projet de M. de Ventavon eût été vraisemblablement repoussée comme la priorité de la loi sur le sénat, et d’un seul coup l’assemblée se trouvait en face de sa propre impuissance avouée et déclarée. Provisoirement on en est quitte pour un cabinet démissionnaire, qui reste au pouvoir parce qu’un autre ministère n’a pas pu se former jusqu’ici, et pour la chance d’un vote nouveau, définitif, qui éclaircira peut-être ou obscurcira encore plus cette étrange situation.

Oui, certes, la situation est étrange, et à tout prendre elle n’est que la conséquence malheureusement assez logique d’une série de faux calculs, de fausses combinaisons. Première faute : le ministère, tel qu’il était, ne pouvait évidemment suffire à la tâche que lui infligeaient les circonstances. Il s’est laissé entraîner dans des affaires où il n’était pas certainement de force à tenir tête aux difficultés. Il a eu les meilleures intentions, nous n’en doutons pas, il s’est dévoué, si l’on veut, en restant à la disposition de M. le président de la république. Il n’est pas moins vrai qu’en se retirant avant l’ouverture de la session il léguait une situation assurément toujours difficile, mais encore assez intacte, et que sa chute aujourd’hui, dans les conditions où elle a eu lieu, laisse une place vide que personne ne veut occuper. C’est vraisemblablement pour rester en règle avec les usages parlementaires, et rien que pour cela, que M. le maréchal de Mac-Mahon a cru devoir appeler successivement deux des chefs de la majorité de coalition du 6 janvier, M. de Larcy et M. Dufaure. Alliés accidentellement dans un vote, M. Dufaure et M. de Larcy ont pu exprimer leur opinion sans avoir à décliner une mission qui ne leur a pas été offerte. M. le duc de Broglie, appelé à son tour, ne veut pas d’un pouvoir qui peut être abattu par le prochain vote sur les lois constitutionnelles, de sorte qu’il y a pour le moment un ministère qui n’est pas réellement un ministère, qui laisse le gouvernement désarmé et passif au milieu des discussions qui peuvent s’ouvrir d’un instant à l’autre.

Seconde faute : M. le président de la république n’avait point évidemment à s’engager au sujet d’une simple question de priorité de discussion. Qu’il eût rappelé de haut et avec fermeté à l’assemblée les engagemens qu’elle a pris, rien de mieux. C’était son droit et son rôle. Au-delà, il semblait se jeter dans la mêlée pour couvrir ses ministres au lieu d’être couvert par eux ; il s’exposait encore une fois à voir un de ses messages traité assez légèrement par la chambre. L’intervention de M. le président de la république ne se serait expliquée que si elle avait fait en quelque sorte partie d’un système, si elle s’était combinée avec l’action d’un ministère institué pour tenter un suprême et décisif effort en faveur d’une organisation complète et définie. Ce n’était point ici le cas.