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ne me souriant pas du tout. J’étais loin de penser que j’y viendrais volontairement finir mes jours.

Quand je vis que leur conversation n’avait rien que de très innocent, je me retirai sans bruit. Madame tint fidèlement compagnie au blessé et ne vit pas les alentours, comme elle l’avait projeté. M. le comte rentra vers le soir, exténué de fatigue et n’ayant rien tué. La chasse était trop difficile pour lui dans un pays pareil. Il n’était pas fort et se montra fort abattu au souper ; mais il ne me parut en proie à aucune velléité de jalousie. Comme je lui arrangeais son nécessaire de toilette dans son grenier à paille, il voulut savoir si le marquis était réellement très blessé. Je répondis que j’avais vu le mal et qu’il était sérieux ; j’attendais qu’il me demandât si c’était un accident volontaire. Il n’y songea point, et je crus convenable de ne rien dire.

Le lendemain, on repartit dans la matinée. M. de Salcède insistait pour que l’on prît à travers la montagne pour gagner Montesparre, qui n’était qu’à cinq lieues par cette voie, tandis qu’il en fallait faire dix pour s’y rendre par la route postale. L’homme qui conduisait notre petite calèche nous dit que, si nous voulions mettre pied à terre dans les endroits dangereux, il se faisait fort d’arriver sans encombre. Madame préféra faire le grand détour, disant que M. de Salcède voudrait marcher dans la traverse, et qu’il ne fallait pas le lui permettre. En d’autres termes, lui dit son mari, la traverse vous fait peur.

— Eh bien ! reprit-elle, je l’avoue, si elle est pire que le bout de chemin qui nous sépare de la route,… oui, j’aurai grand’peur ; mais je ferai ce que vous voudrez.

Madame savait bien que cette soumission-là était un ordre pour son mari ; il commanda de reprendre le chemin que nous avions suivi l’avant-veille, et ce fut avec un grand soulagement que je me retrouvai dans notre grosse voiture de voyage sur la route postale de Montesparre.

VII.

Montesparre était situé aux environs d’Aurillac, dans un pays riant, modérément accidenté ; nous y fûmes rendus pour l’heure du dîner. Le château était une maison du siècle dernier qu’on avait récemment flanquée de deux corps de logis assez laids. Mme de Montesparre, veuve à vingt-deux ans, jolie femme, fort aimable et très bonne, n’avait pas les goûts romantiques. Médiocrement riche d’ailleurs, elle ne rêvait pas, comme Mme Rolande, de donjons et de précipices ; elle avait hérité de cette terre de bon rapport, elle y venait passer tous les