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l’amour dans sa vie, on devrait bien se demander si on est propre à inspirer l’amour. Je comprends le beau Salcède s’attachant aux pas des belles femmes ; il les aime trop pour n’en pas être aimé. M. le comte s’est trompé de route, c’est lui qui eût dû se donner à la science, le mariage d’amour n’est pas du tout son fait.

Nous étions à Montesparre depuis six semaines, nous devions y passer deux mois. M. de Salcède avait promis d’y rester huit jours, et il ne parlait plus du tout d’aller en Allemagne comme il l’avait annoncé. Son pied, parfaitement guéri, ne pouvait plus lui servir de prétexte, et il n’en cherchait pas. Il n’avait plus, je crois, aucun projet, aucun but dans la vie ; il aimait, avec ou sans espoir, il aimait, comme on dit, pour aimer. Les soupçons du mari allaient grand train, et je reconnus qu’il observait toutes choses encore mieux que moi. Un jour, je le vis en conférence très animée avec M. de Salcède. Je crus qu’ils se querellaient et finiraient par se battre ; mais je les vis s’embrasser, et j’en conclus qu’il n’y avait rien ou que monsieur était radicalement trompé.

X.

Le soir, comme j’étais dans un coin du vestibule, madame descendait l’escalier sans me voir, et M. de Salcède montait. — On va danser, lui dit-elle, est-ce que vous vous retirez ?

— Il le faut, répondit-il d’un ton navré.

— Comment, il le faut ? Pourquoi ?

— Je suis un peu souffrant.

— Si ce n’est qu’un peu, la danse vous guérira. Voyons, je compte sur vous. Promettez-moi de redescendre.

Il s’inclina et ils se croisèrent. Elle, légère comme un oiseau et légèrement vêtue de gaze, car il faisait très chaud, disparut dans les détours vaguement éclairés de la rampe. Lui, après avoir monté deux ou trois marches, se retourna et resta immobile, la suivant des yeux, en proie à une émotion si violente, que je crus qu’il allait mourir. Quand il fut remonté chez lui, je descendis à mon tour pour veiller aux rafraîchissemens de la soirée, et je me trouvai face à face avec le comte de Flamarande, qui sortait de l’ombre d’un couloir. Lui aussi avait observé, et il était plus agité encore que M. de Salcède ; il était pâle comme la mort et parlait seul, les dents serrées comme s’il eût voulu rugir. — Il me trompe ! disait-il. Infâme, infâme !

Il ne me vit pas, tant il était préoccupé, et descendit au salon, où M. de Salcède ne vint pas ce soir-là, au grand déplaisir de la baronne, qui ne s’en cachait guère. Madame, plus indifférente ou plus