Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/507

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
501
FLAMARANDE.

— Eh bien ! reprit-elle, où donc est-il, que nous ne l’avons pas vu ?

— Il sera monté se rhabiller, dit M. le comte avec ironie, et vous pouvez encore le recevoir ; il n’est pas bien tard.

Je suivis monsieur, qui prit le parterre pour regagner son rezde-chaussée. Il ne s’étonna pas de voir la porte-fenêtre du petit salon ouverte, et il entra tranquillement ; mais aussitôt j’entendis un cri étouffé et vis M. le comte ressortir en tenant à la gorge M. de Salcède, qu’il avait surpris chez lui. Monsieur n’avait aucune arme, sans quoi il l’eût certainement égorgé. Il essayait de l’étrangler, et sans doute la fureur décuplait ses forces ; mais M. de Salcède, qui était plus fort que lui, se dégagea aisément et lui dit d’une voix assez calme : — Pas de bruit, au jardin ! expliquons-nous au jardin !

Le jardin n’était séparé du parterre par aucun mur. Ces messieurs s’éloignèrent donc, je remarquai que le marquis tenait un bouquet qu’il n’avait pas lâché dans la lutte, et qu’il cachait sur sa poitrine sans que monsieur, exaspéré, y fît attention. Il ne pensait qu’à tuer son rival, car il se retourna et me dit : — Deux fusils de chasse, les premiers venus ; on tirera au sort. Gourez !

— Il n’en trouvera pas, répondit M. de Salcède ; qu’il apporte le vôtre, vous en disposerez, si vous me trouvez coupable.

Ils s’éloignèrent, et mon premier mouvement fut de savoir si la comtesse était complice de l’entreprise par trop évidente de M. de Salcède. En mettant tout au mieux, il avait voulu lui dire un éternel adieu. S’y était-elle prêtée ?

Je pénétrai dans le petit salon et n’entendis aucun bruit. La porte de la chambre à coucher était ouverte. Je m’avançai sur le seuil ; madame ne se servait pas de veilleuse, tout était sombre. Je n’osai pas avancer, je restai à l’entrée, retenant ma respiration. Je saisis celle de la comtesse, égale et tranquille comme le souffle doux d’un enfant qui dort. Je ne pouvais pas pousser plus loin mes investigations ; je remarquai seulement que sa fenêtre était entr’ouverte, retenue par l’espagnolette ; elle dormait souvent ainsi, craignant beaucoup la chaleur.

XII.

Quand j’eus fini cette inspection sommaire, qui ne pouvait rien m’apprendre, je me gardai bien d’aller chercher le fusil demandé, et j’allai furtivement rejoindre les deux adversaires au fond du jardin. Ils parlaient avec animation, à voix basse, mais avec cette articulation nette et serrée qu’on a dans les grandes crises de la