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REVUE DES DEUX MONDES.

XIV.

En ce moment, madame entra chez lui, et après s’être informée de sa santé, elle me demanda tout bas si monsieur connaissait la position de M. de Salcède. Je craignis une explication tragique, et j’engageai madame à ne pas parler de cette affaire à son mari, tant que sa crise hépathique ne serait pas dissipée.

Il n’en fut donc point question, et les jours suivans se passèrent sans que madame montrât un chagrin particulier. Elle envoya, il est vrai, plusieurs fois son valet de chambre prendre des nouvelles du blessé ; mais le jour où M. le comte lui dit d’un ton glacé : — Savez-vous, ma chère, que le jeune Salcède a perdu son père et qu’il est lui-même fort mal ? — elle répondit sur un ton d’angélique innocence : — Je sais cela, je ne voulais pas vous en parler pour ne vous point affecter ; puisque vous êtes au courant, je vous ferai plaisir en vous apprenant que les dernières nouvelles de votre ami sont bonnes. On espère le sauver.

M. le comte pâlit et répondit : — Je vous en félicite !

L’étonnement de madame fut si sincère que j’en fus frappé, et mon regard suppliant engagea M. le comte à expliquer sa réponse aussi adroitement que possible. Madame reprit sa tranquillité et lui dit : — S’il est vrai, comme on le prétend, que M. de Salcède a été blessé en duel, je m’étonne qu’il ne vous ait pas pris pour témoin, et que vous n’appreniez qu’aujourd’hui ce qui le concerne.

M. le comte la regarda bien en face, puis il dit : — C’est moi qui ai frappé Salcède, parce qu’il se conduisait comme un enfant. Il compromettait une personne que j’avais le devoir de faire respecter.

— Et cette personne, reprit la comtesse, qui soutenait son regard avec l’immobilité du marbre, cette personne, c’est ?..

— C’est Mme de Montesparre.

— Comment ! vous vous êtes battu pour la baronne, vous ?

— Je l’aime médiocrement, j’en conviens. Je la tiens pour une folle, mais elle est votre amie et n’avait pas d’autre défenseur que moi. Quand nous étions à Montesparre, je n’ai pas voulu faire de scandale ; j’ai donné rendez-vous ici à Salcède. Voilà ce qui s’est passé. Vous le raconterez, si vous voulez.

— Jamais ! s’écria madame, je ne veux écouter personne et ne répondre à personne sur un pareil sujet. Comment l’expliquerais-je ? je n’y comprends rien. M. de Salcède compromettait Berthe ! est-ce possible ? N’avait-il pas l’intention de l’épouser ? N’est-il pas un honnête homme, votre meilleur ami ?

— Il n’est plus mon ami, je le tiens pour un traître, et je vous