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REVUE DES DEUX MONDES.

fant, puis qu’elfe fût ramenée et cachée par moi. Je devais ensuite donner l’alarme. On prendrait des précautions pour que la comtesse ne fût informée de rien. Au milieu de l’émotion produite par l’événement, je partirais, sans être vu, avec la nourrice et l’enfant, comme si j’allais à leur recherche. Tout était minutieusement prévu par le comte ; mais je fus pris d’épouvante, et je refusai d’agir.

— Monsieur le comte, m’écriai-je, je vois bien que vous voulez éluder l’essentiel. Malgré vos promesses, vous espérez échapper à la loi. Il faut que l’enfant soit présenté à la municipalité, il faut que vous le reconnaissiez, il le faut absolument ; autrement vous êtes passible de poursuites judiciaires, amende et prison.

— Je le sais, répondit-il. Je m’expose à cela, moi ! reculez-vous ?

— Oui, monsieur le comte. Rien d’illégal, c’est ma devise. Connaissant la loi par état pour ainsi dire, je serais inexcusable de l’enfreindre.

M. le comte me parla d’une somme considérable à gagner, et, voyant qu’il m’offensait sans me convaincre, il céda.

— La comtesse, dit-il, verra donc son fils ! J’aurais voulu, dans son intérêt, qu’elle n’eût pas le temps de s’attacher à lui ; mais puisque vous avez peur…

— J’ai peur de la tuer, m’écriai-je, et s’il faut vous le dire, je n’ai pas d’autre peur.

Il garda un moment le silence, puis il me dit d’un ton singulier : — Qu’on m’apporte l’enfant !

J’obéis à cet ordre étrange sans oser rien pressentir. La nourrice apporta l’enfant,

— Laissez-le-moi, nous dit le comte, et retirez-vous.

La Niçoise eut peur, et par instinct retint l’enfant contre sa poitrine.

— N’avez-vous pas entendu ? reprit le comte froidement. Placezle sur mon lit et ne revenez que quand je sonnerai.

Nous sortîmes ; mais moi je restai, l’œil et l’oreille collés au trou de la serrure. J’avais peur aussi pour la pauvre petite créature. J’étais résolu à la défendre, et je n’osais formuler ma pensée en moi-même.

Je vis alors une chose bizarre qui me fit douter de la raison de mon maître.

George Sand.

(La seconde partie au prochain no.)