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locale. Le vieil Arabe est accroupi tout le jour sur une natte, dans l’angle d’une salle nue où pendent ses armes ; il fume des cigarettes en faisant mijoter sur un brasero d’innombrables tasses de café relevé de cumin et d’herbes odoriférantes. Voilà sa vie. Les visites d’ailleurs se succèdent sans interruption, c’est-à-dire qu’un habitant de la ville ou un Bédouin du désert entre, salue le maître de la maison, s’accroupit, allume sa pipe ou sa cigarette, et sort après une demi-heure sans avoir prononcé plus de vingt paroles. Je ne peux m’empêcher d’admirer une fois de plus la décence et l’urbanité de ces réunions. Ces gens-là sont après tout des villageois de petite condition ; quelle différence dans la gravité de leur parole et la noblesse de leur attitude avec la turbulence et le sans-gêne de nos populations !

Les deux jours que nous avons passés à Nazareth coïncident avec les fêtes du baïram. Cette bonne fortune nous vaut un spectacle pittoresque ; dans l’après-midi, les jeunes gens de la ville se réunissent pour courir le djérid. Ce plaisir viril, d’où nous sont venus nos tournois au moyen âge, offre un bien autre intérêt que nos courses de chevaux. Le champ-clos est la place pierreuse et poussiéreuse, enceinte de haies de nopals, qui s’étend devant nos tentes. Les jouteurs, revêtus de leurs plus riches costumes, se divisent en deux camps et lancent les uns contre les autres, pour se défier, leurs montures aux flancs ensanglantés par le large et tranchant étrier de fer. Bientôt les cavaliers excités, penchés sur leurs bêtes affolées, se mêlent, se heurtent, cherchent à s’atteindre au moyen de lourds javelots de bois qui se croisent dans l’air, vont frapper dans le dos les fuyards, ou sont saisis au vol par les adroits combattans, aux applaudissemens bruyans de la galerie. Un nuage de poussière tourbillonne sous les sabots des chevaux et fait pailleter dans la verdure jaunâtre des figuiers de Barbarie les vestes brodées d’or, les mach’las rayés de noir et de blanc, les koufflehs éclatantes et les hautes bottes rouges des cours. Une grande affluence de spectateurs se presse autour du petit cirque et complète le tableau. Les femmes disparaissent sous de longs voiles blancs, retombant sur des jupes roses, violettes ; bon nombre d’enfans sont des pieds à la tête orange ou vert-pomme. Quand, au coucher du soleil, toute cette foule bigarrée s’écoule par le chemin trop étroit comme un fleuve qui a rompu ses digues, elle donne à l’œil ébloui la sensation d’une boîte à couleurs renversée dans l’atelier d’un peintre. Tout se disperse en quelques secondes ; les femmes attardées à la fontaine restent seules à l’entrée de la ville, se disputant avec force cris la source avare ; puis la nuit tombe, tout se tait, et nous n’apercevons plus, à travers le feuillage grêle et délicat des oliviers qui