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de la cueillette dans les champs aimés de la Provence ; elle se prend à rêver de trouver le soir à l’étape le calendau, la bûche de Noël, emplissant de sa flambée superbe l’âtre et la grande salle où le nougat affriolant attend les ramasseuses revenues des pressoirs.

Une descente nous conduit, par une brusque transition, dans la vallée étroite et ombreuse, toute plantée de beaux arbres et de vergers, égayée par les fraîches chansons d’un ruisseau qui aboutit à Naplouse, entre les contre-forts des monts Ebal et Garizim. Nous campons dans un jardin, sous un dais de vénérables oliviers, sans apercevoir la ville, située en contre-haut dans les arbres, à l’étranglement du col que forment en se rejoignant les pentes des deux montagnes.

Il y a quatre mille ans, un vieux pâtre de Mésopotamie, poussé par la parole de Jéhovah, est venu planter sa tente de peaux de chèvres au même endroit, à cette place peut-être où s’élèvent les nôtres. comme tout le reste, les lieux de campement sont fixés par une tradition immuable et fidèle en Orient. Aucune considération, aucune menace, ne pourraient empêcher nos moukres de dresser les tentes là où ils l’ont toujours fait, là où leurs pères leur ont appris à le faire. Chaque fois que nous avons voulu manifester notre préférence en faveur de tel ou tel site, ils nous ont toujours répondu d’un air étonné par cet argument sans réplique : « C’est l’endroit où l’on campe. » — Donc, ici ou près d’ici, sous les térébinthes de Sichem, dans le « Vallon illustre » (Gen., XII, 6), le patriarche, arrivant un soir comme nous, prit possession de la contrée de Chanaan, et entendit la promesse céleste qui l’assignait à sa postérité plus nombreuse que le sable de la mer. Quelle terre pourrait produire de semblables titres de noblesse ? comme on se sent débile et chétif en face de pareils abîmes de temps et de pareils souvenirs !

Avant d’entrer dans la ville, nous sommes montés sur le faîte du Garizim, couvert de curieuses ruines. M. de Saulcy, toujours porté aux attributions reculées et merveilleuses, a voulu y voir les restes du temple bâti par Sanaballète au retour de la captivité ; cette hypothèse semble bien hasardée.

Nous redescendons dans le col où s’abrite Naplouse, et nous entrons par une massive porte voûtée dans la ville, assez considérable pour la Palestine, d’environ 8,000 âmes. De grandes et hautes maisons à plusieurs étages se serrent les unes contre les autres et surplombent les deux ou trois principales rues ; les autres sont un dédale obscur et inextricable, disparaissant sous des voûtes sombres, surbaissées, voies souterraines d’aspect fort original. C’est en nous glissant dans ces couloirs ténébreux que nous arrivons à la