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professeur Voigt sur la révolution française ; il n’y a guère d’université où l’on ne puisse suivre tous les ans quelque cours sur l’histoire des quatre-vingts dernières années. Le professeur, avec beaucoup d’art, dépeignait les partis, faisait la biographie des chefs ; mais l’impression qui en ressortait, et que durent recevoir les trois cents jeunes gens devant lesquels il parlait, était celle d’un universel et égal mépris pour tous les personnages de cette époque. Les événemens n’avaient même pas cet air de grandeur que leur donnent à nos yeux l’importance des résultats, l’étendue du théâtre, le caractère tragique de la lutte. Du côté de la cour, ce n’était qu’égoïsme et aveuglement, du côté de la Gironde ambition et faiblesse, du côté des jacobins convoitise et cruauté. Le seul qui obtint un mot de sympathie est Louis XVI, encore est-ce parce qu’il allait mourir. J’avais déjà entendu plus d’une fois en France toutes ces accusations ; mais ce qui était nouveau pour moi, c’était de les voir réunies. Tantôt je croyais entendre un historien royaliste parlant de la montagne, tantôt un écrivain démocrate donnant cours à ses griefs contre l’ancien régime.

L’enseignement de l’histoire se continue d’ordinaire jusqu’aux temps les plus récens. Quand chez nous M. Duruy, alors ministre de l’instruction publique, introduisit l’histoire contemporaine dans le programme de la classe de philosophie de nos lycées, on se rappelle le concert de réclamations que la presse française fit entendre : la surveillance jalouse que les diverses opinions exercent les unes sur les autres leur fit craindre aussitôt que cet enseignement ne tournât au profit de l’une d’elles. En Allemagne, ce n’est pas seulement dans les plus hautes classes des collèges, mais déjà dans les classes inférieures, ce n’est pas seulement au collège et à la realschule, mais, dans les institutions de jeunes filles et à l’école primaire qu’on enseigne l’histoire moderne jusqu’en 1815. Au collège royal français de Berlin[1], on apprend « en troisième supérieure » (notre quatrième) l’histoire de la monarchie prussienne jusqu’en 1866. Beaucoup de livres scolaires d’histoire, à chaque nouveau tirage, prolongent leur récit jusqu’à l’année même de l’édition. J’ai feuilleté en 1873 des livres faits pour les écoliers où étaient nommés Ollivier, Thiers, Jules Favre, Gambetta, Mac-Mahon, Bourbaki, Chanzy, Bazaine, Blanqui, Rochefort (je cite au hasard). Une particularité de ces livres m’a frappé. J’ai vu avec regret que les accusations portées contre la France au moment le plus ardent de la lutte de 1870 ont trouvé place dans des livres scolaires[2]. Comme on

  1. Collège fondé par l’électeur Frédéric III en 1689, où les leçons se donnent en français.
  2. Voyez par exemple Kohlrausch, Kurse Darstellung der deutschen Geschichte, IIe édit., p. 293.