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dans cette susceptibilité ; mais sa rupture avec le Journal officiel l’entraîna plus loin qu’on ne pouvait penser. Sainte-Beuve, qui se considérait comme lié par un traité avec M. Dalloz, resté propriétaire du Moniteur indépendant, lui avait envoyé un article sur un sujet alors brûlant : le cours sur l’enseignement des jeunes filles professé à la Sorbonne par M. Albert, cours institué par M. Duruy et vivement combattu par l’épiscopat. « Les évêques ont poussé des cris, disait-il, comme s’il s’agissait de sauver le Capitole, » et il ajoutait entre parenthèses : « des cris d’aigle. » L’épigramme fut trouvée un peu forte par la rédaction du nouveau recueil. On en demanda la suppression à Sainte-Beuve. Il s’y refusa avec obstination. « Au diable les fanatiques ! » s’écria-t-il, et le lendemain il envoya son article au Temps, qui, comme on peut penser, l’imprima tel quel, et sans marchander.

Le scandale fut grand dans les régions officielles. Le Temps était un des organes principaux de cette opposition, vive dans le fond, modérée dans la forme, libérale et constitutionnelle dans ses principes, dont le gouvernement redoutait par-dessus tout le triomphe. C’était, disait-on, un journal orléaniste. Un sénateur écrire dans un pareil journal ! On fit faire à Sainte-Beuve des objurgations très vives au nom du ministre d’état, objurgations que Sainte-Beuve repoussa avec beaucoup de hauteur. Il n’était pas fâché de quitter ce qu’il appelait l’officialité, et il n’admettait pas que sa dignité de sénateur enlevât quoi que ce soit à son indépendance d’homme de lettres. On en conçut une vive irritation contre lui au ministère d’état et aux Tuileries, irritation dont Sainte-Beuve prenait assez volontiers son parti ; ce qui dut lui être plus sensible, ce fut de voir se fermer devant lui l’ermitage de Saint-Gratien. « Quinze jours se sont écoulés, écrivait-il le 17 janvier 1869 à la princesse Mathilde, j’ai beau chercher et m’interroger, je ne puis découvrir que j’aie eu aucun tort personnel envers votre altesse. Vous m’avez accoutumé, princesse, à une amitié si différente, que je n’ai pu considérer l’entrevue de lundi que comme un accident extraordinaire, quelque chose qui n’était pas de vous, mais d’un autre. Pour moi, j’ai mis le signet après la visite du dimanche. Le livre se ferme pour moi ce jour-là à cinq heures et demie du soir ; se rouvrira-t-il jamais un jour ? »

Ce livre ne devait se rouvrir que peu d’heures avant l’instant solennel où le livre de la vie de Sainte-Beuve allait se fermer. Lorsque la princesse Mathilde apprit l’état désespéré où il était réduit, elle envoya un ami commun, porteur d’une dernière lettre à laquelle Sainte-Beuve eut la force de dicter encore la réponse. Il est à regretter que ce triste et dernier témoignage de la réconciliation devant la mort ne termine pas ce petit volume des Lettres à la Princesse,