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de discours, mais que l’un d’eux, Lacaussade ou Troubat, par quelques mots simples, se borne à remercier l’assistance qui m’aura accompagné jusqu’à la tombe. » Éloigner à la fois de son cercueil tout appareil religieux et toute manifestation bruyante, bannir ce qu’il considérait comme une hypocrisie, en cherchant à éviter le scandale, telle était manifestement la pensée de Sainte-Beuve. C’était le 28 septembre 1869 qu’il traçait ces lignes d’une main défaillante. Quinze jours après, le 13 octobre à une heure et demie de l’après-midi, il expirait.

Les dernières volontés de Sainte-Beuve furent respectées. Aucun prêtre, aucune députation officielle n’accompagna son cercueil. Une foule considérable n’en suivit pas moins le convoi. Se rendrait-on en corps au cimetière ? Ce fut l’objet d’une délibération parmi les étudians du quartier latin. « Il était sénateur, » dirent les uns. « Oh ! si peu, » répondirent les autres, et les étudians se joignirent au cortège. Ils s’attendaient à une manifestation, à un discours, à quelque chose. La cérémonie fut courte et simple. « Messieurs, nous vous remercions au nom de Sainte-Beuve, dit un des exécuteurs testamentaires : la cérémonie est terminée. » Ce fut tout. Une partie de l’assistance s’écoula manifestement désappointée.

Il n’y avait guère plus de quinze ans qu’une foule non moins nombreuse et composée à peu près des mêmes élémens conduisait également au cimetière la dépouille d’un homme dont l’existence s’était croisée avec celle de Sainte-Beuve, et qui avait exercé sur son esprit une courte, mais profonde influence. Une haie de soldats ferma l’accès du cimetière à ceux qui suivaient le convoi de Lamennais. Aux quelques amis qui avaient pu pénétrer, raconte M. Renan, le fossoyeur demanda s’il fallait mettre une croix sur la tombe. On lui répondit : non. Il n’avait pas suffi à Lamennais d’écarter de son cercueil les prières de l’église ; il avait demandé que son corps fût déposé dans la fosse des pauvres. L’expression de leurs volontés dernières a valu à Sainte-Beuve et à Lamennais les mêmes éloges et les mêmes injures ; mais ceux qui apprécient avec sang-froid les nuances des choses sauront du moins gré à Sainte-Beuve de n’avoir pas donné à la tristesse de ses funérailles l’éclat de cette déclamation suprême.

Arrivé au terme de cette étude, dont la longueur ne dissimule pas à mes yeux les côtés incomplets, je ne tenterai pas de résumer mon jugement sur Sainte-Beuve. J’ai cherché à rassembler avec impartialité les élémens de ce jugement. A ceux qui prendront la peine de me lire, je laisse le soin de le traduire ; mais je voudrais, avant de terminer, essayer de répondre à une question qui se pose involontairement devant mon esprit. Pourquoi, malgré une