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formes exubérantes et les blancs fouettés en rose des imitateurs malheureux de Rubens. On dirait que Wiertz, le trop fameux peintre belge, est passé là avec son crayon ambitieux et sa palette crayeuse. À l’exposition des Beaux-Arts, le public a jeté de grands cris devant le panneau qui représente la Danse amoureuse. La pudeur s’est effarouchée des déhanchemens, des torsions, des cambrures de reins de ces figures nues drapées d’écharpes complaisantes. On a répété, en le modifiant un peu, le mot de messer Biagio, qui disait que les nudités de la Sixtine seraient plutôt faites pour une salle de bains que pour une chapelle chrétienne. Ces femmes sont en effet plus lascives qu’amoureuses ; mais la pudeur de nos contemporains s’est émue à bien bon marché. D’une part, le foyer de la danse ne peut pas être considéré comme une sacristie ; d’autre part, les figures de ce tableau sont si plates, le sang circule si pauvrement dans leurs chairs, elles remuent si peu malgré leur agitation, que personne à coup sûr ne rêvera d’elles. La Danse guerrière n’est pas la danse guerrière ; c’est la danse funambulesque. Ces mouvemens violens et ces faces grimaçantes n’ont rien d’héroïque. Le guerrier de droite a l’air d’un sapeur en goguettes. Le grand et maigre guerrier qui élève un bouclier me rappelle, avec sa chair blême, sa draperie blanche, sa bouche béante, ses yeux écarquillés, Debureau dans Pierrot croque-mort, cette pantomime tragi-bouffonne.

Les peintures du nouvel Opéra, qui forment à elles seules comme un salon, — salon qui pourrait être, au point de vue esthétique, d’un intérêt plus sérieux que l’exposition annuelle des Champs-Elysées, — annoncent-elles une renaissance de la peinture décorative, un retour au grand art ? Il n’y a pas à s’illusionner sur ceci. Sauf M. Paul Baudry, qui a toujours fait du grand art, qui s’est nourri de la moelle des lions, et qui, il y a quinze ans déjà, peignait dans certain hôtel des Champs-Elysées l’admirable plafond de la Nuit et les belles voussures des Baigneuses, des Guerriers, des Pasteurs et des Amoureuses, tous les peintres du nouvel Opéra n’ont réussi qu’à marquer une fois de plus la décadence de la grande peinture. Plusieurs ont fait de louables efforts pour atteindre au style ou pour donner une note originale, mais ces efforts n’ont pas été récompensés par le résultat obtenu. Les autres n’ont même pas fait le moindre effort et se sont traînés dans les poncifs. Ce qui doit surtout inquiéter, c’est cette pauvreté d’imagination. S’il y a trop de lyres dans l’ornementation de l’Opéra, on peut dire qu’il y a trop d’Apollons dans la décoration. Nous en avons compté près de quinze dans les trente-trois grandes compositions. Cela a l’air d’un concours pour le prix de Rome sur un sujet donné. Nous savons bien que la peinture décorative est toujours forcée de prendre ses figures parmi ces