Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/686

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résultats les plus importans pour le progrès des études antiques, je demande la permission aux lecteurs de leur dire rapidement en quoi elle consiste.

Lorsqu’après la découverte de l’imprimerie on se mit en mesure de publier les auteurs anciens qui ne s’étaient conservés jusque-là que par des copies manuscrites, on ne commença pas par se demander quelle était la meilleure manière et la plus légitime d’en constituer le texte. On avait hâte de faire jouir tout le monde de ces trésors cachés ; on voulait aller vite, supprimer les travaux préliminaires et prendre la voie qui semblait la plus simple. Les savans les plus scrupuleux se contentaient de réunir le plus de manuscrits possible et de les corriger les uns par les autres. Ils ne s’occupaient pas d’en chercher la provenance, et les regardaient comme ayant tous à peu près la même valeur. Ils notaient avec soin les différences qui se rencontraient entre eux et se décidaient pour la leçon qui paraissait la plus vraisemblable et la plus naturelle[1], sans se mettre trop en souci de la source à laquelle ils l’avaient puisée. On arrivait ainsi à se faire un texte clair, sensé, courant, aisé à saisir, agréable à lire, et c’est tout ce qu’on demandait alors. Pour les gens de la renaissance, l’antiquité n’était pas une chose morte qu’on devait respectueusement conserver, qu’il fallait reproduire comme elle était, et sans se permettre d’y rien changer. Ils voulaient s’en servir, la faire entrer dans leur existence. Ils s’appliquaient les conseils de ses moralistes, les principes de ses philosophes ; Platon, Sénèque, Cicéron, remplaçaient d’un coup ces théologiens, ces compilateurs, ces grammairiens qu’on avait lus et commentés pendant tout le moyen âge, et devenaient les maîtres de la vie. Il fallait donc qu’avant tout on pût les comprendre. On voulait que l’antiquité devînt pour tous d’un accès facile et d’un usage commode, qu’elle fût pour ainsi dire moderne et vivante, et il faut avouer qu’on y a merveilleusement réussi.

Les besoins sont changés aujourd’hui, et nous étudions le passé dans un autre esprit. Nous souhaitons que l’antiquité reste antique, nous tenons à la connaître telle qu’elle est ; il nous déplairait qu’on changeât les anciens écrivains, même pour nous les faire mieux comprendre ; nous voulons qu’on nous en donne, un texte exact et qui se rapproche le plus possible de celui que l’auteur avait publié lui-même. Voici la méthode qu’on suit pour y parvenir. On ne se

  1. Souvent même la plus claire ne paraissait pas l’être assez, et l’on n’hésitait pas à la modifier pour la rendre plus claire encore ou plus élégante. Jamais savans n’ont été plus audacieux, plus féconds en restitutions téméraires que ceux du XVe et du XVIe siècle. Scaliger surtout est une merveille en ce genre, et dans le Lucrèce de Lambin, qui a fait autorité jusqu’à nos jours, il entre presque autant de Lambin que de Lucrèce.