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d’impatience ; quand on ne le contrariait pas, il prenait une allure rapide, régulière et cadencée, ne s’effrayant de rien, ne reculant devant rien et ne montrant d’autre souci que celui d’avancer. Je le connaissais déjà, je n’avais plus peur de lui, je le tenais à peine. Il marchait, marchait, voyant clair dans les ténèbres, car j’avais eu soin de ne pas allumer les lanternes. Dans l’intérieur de la voilure, la nourrice ne bougeait pas, l’enfant semblait dormir. Moi, je n’avais nul besoin de sommeil, j’avais la fièvre. J’avançais comme dans un rêve. Je sentais un vent tiède fouetter ma figure, et cela me soulageait. J’avais une idée fixe que je me répétais tout bas, mais en articulant les paroles, comme si j’avais eu besoin d’entendre une voix me les dire. — Si tu avais refusé cette mission, ton maître eût fait périr l’enfant, car, s’il n’est pas cruel, il est fou, et cet enfant, que tu enlèves à sa mère, tu le sauves ; marche donc, tu accomplis un devoir impérieux ! — Et je me répétais d’une voix égarée : Impérieux ! impérieux !

Nous avions dépassé la Loge, qui était à cette époque le dernier relais de poste avant Vierzon. Zamore, qui n’avait pas ralenti un instant son allure, s’arrêta court et fit mine de se coucher. Je descendis et lui essuyai les naseaux avec mon mouchoir, qui fut aussitôt rempli de sang. Les clochers de Vierzon se dressaient à peu de distance. Je regardai ma montre, nous avions gagné une heure sur le temps prévu par le comte. Je pouvais laisser respirer le noble animal. Je profitai de ce répit pour jeter les yeux sur le papier que m’avait remis mon maître. Il m’avait muni d’un petit appareil pour me procurer de la lumière.

« 1o À peu de distance de Vierzon, vous vous arrêterez cinq minutes pour arranger votre visage, car vous pouvez rencontrer dans cette ville quelque personne de connaissance. Si vous aviez à mettre Zamore en dépôt, prenez le nom de Jacques Le Seuil, et dites que vous viendrez chercher votre cheval dans quinze jours. Payez d’avance sa nourriture.

« Vous prendrez connaissance du second paragraphe quand, les chevaux de poste étant attelés, vous remonterez dans le coupé. Faites que la nourrice ne sorte pas de la voiture et ne se laisse pas apercevoir à Vierzon ni ailleurs. »

Je recommandai donc à la Niçoise de s’enfermer, et, tirant Zamore par la bride, j’essayai de le faire marcher. Il s’y refusa. J’attendis encore quelques minutes ; alors il frappa du pied comme pour me dire qu’il voulait repartir, et je remontai sur le siège ; l’hémorragie semblait arrêtée. Il reprit alors son trot admirable, seulement il secouait la tête, et en me retournant, à la lueur du jour naissant, je voyais la trace de son sang sur la blancheur du chemin. Il