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FLAMARANDE.

XXX.

Bien qu’il ne me reconnût pas, sa présence me gênait un peu, et j’avais hâte de partir. Voyant que mon conducteur s’obstinait et que la promesse d’une augmentation de paiement ne le décidait pas, — il ne voulait pas désobliger les cabaretiers de la Violette qui comptaient bien me garder la nuit, — je pris mon parti, et, l’emmenant dehors, je lui payai sa journée en lui déclarant que je n’avais plus besoin de lui. Il exigea la journée du lendemain qu’il emploierait à rentrer chez lui. Je la lui payai également et je le quittai sans lui dire où j’allais, mais en lui laissant croire que je me rendais à Lascelle, qui est un hameau plus rapproché que Flamarande et qui est un peu plus fréquenté.

Lorsque je fus hors de sa vue, je m’outillai pour porter Gaston et mon petit paquet sans trop de gêne. L’enfant marcha assez longtemps ; mais quand la nuit fut tout à fait venue, il s’endormit en marchant comme si un ressort se fût détendu à l’heure dite. Je le pris dans mes bras. Il était lourd comme un enfant qui dort ; mais j’étais encore jeune et assez robuste, la nuit était pure et fraîche. En n’allant pas trop vite, je ne me fatiguai pas beaucoup.

Pourtant je vis avec plaisir le donjon se dessiner en blancheur vague sur les noires montagnes qui l’entouraient. Je m’arrêtai pour souffler. Il pouvait être dix heures. J’avais encore dix minutes à monter, c’était le plus rude du chemin. Je me hâtai, je savais que les fermiers se couchaient de bonne heure comme tous les paysans habitués à se lever avant le jour. J’étais essoufflé et en nage quand je gagnai la porte de la ferme ; elle était fermée au cadenas, je frappai en vain. Réveiller des paysans dans leur premier sommeil, c’est la chose impossible. Et puis il y a chez presque tous la pensée qu’un voyageur nocturne ne peut être qu’un malfaiteur, qu’un événement nocturne ne peut être qu’une fâcheuse affaire dont il est bon de ne pas se mêler, et que l’honnête homme couché dans son lit ne doit pas s’éveiller pour quelqu’un qu’il ne connaît pas ou pour quelque chose qu’il ne sait pas.

J’aurais facilement escaladé la porte si j’eusse été seul, mais je ne voulais pas compromettre Gaston dans cette aventure, et d’ailleurs les chiens qui aboyaient faiblement et comme pour l’acquit de leur conscience eussent pu me faire un mauvais parti en me voyant forcer l’entrée.

Le pauvre petit s’était éveillé, et, assis par terre, il attendait avec la patience qui lui était naturelle qu’il plût à la Providence de lui accorder un lit. Il me faisait de la peine, son caractère ou son tem-

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