Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/746

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
740
REVUE DES DEUX MONDES.

une histoire que je ne confie pas à tout le monde et que je vous dirai comme je la dirais à M. le comte, s’il me demandait la vérité. Je veux qu’il sache ce qui en est, parce que, s’il nous blâmait de garder ce petit, nous nous mettrions à la recherche de ses parens.

— Qu’est-ce que cela peut faire à M. le comte que vous éleviez un enfant de plus ou de moins ? Vous êtes le maître dans votre famille, monsieur ne se mêle pas de vos affaires. Il n’est pas sûr qu’il revienne jamais ici. Si vous voulez qu’il ne sache pas ce que c’est que cet enfant, je n’ai pas de raisons pour lui en parler, et d’ailleurs vous n’êtes pas obligé de me le dire.

— Je ne vous le dirai pas, monsieur Charles, reprit Michelin, je ne saurais, car l’enfant m’est inconnu ; mais voici l’histoire. — Ma chrétienne de femme, étant sur son terme, priait soir et matin la bonne Vierge de lui donner un garçon, parce que, — nous sommes contens d’avoir des filles, — cependant nous serions encore plus contens d’avoir un homme pour conserver le nom et le rang de la famille,… si bien que ma femme avait mis au-dessus de son lit une petite image de la naissance du bon Jésus dans la crèche, et elle avait bon espoir.

Il y a aujourd’hui quinze jours, elle entra en mal d’enfant sur les dix heures du soir, et je m’en allai par la porte de derrière chercher la sage-femme. Toute la nuit on a attendu la délivrance ; mais comme ça ne se décidait pas, j’ai été ouvrir l’étable pour envoyer les bêtes à la pâture, et, devinez ce que je trouve dans la crèche ? un petit d’environ quatre ans, beau comme un diamant, fort comm un taureau, couché là comme un agneau dans la litière et dormant comme chez lui. Je m’étonne, je le regarde, je lui parle, il s’éveille, me sourit et m’embrasse. Oh 1 ma foi, que je dis, celui-là est ce qu’il m’aurait fallu pour être tout à fait content ! Le malheur est que je vas trouver par là son père ou sa mère, des passans fatigués qui auront trouvé la porte ouverte et qui dorment aussi quelque part dans mon fourrage. Je cherche, j’appelle, je tourne et retourne, je ne trouve rien ni personne. Je reviens à l’enfant, je lui parle, il ne répond pas. Peut-être qu’il est sourd-muet, que je pense. Je le regarde encore. Je vois à son chapeau un billet de banque de mille francs. Oh ! oh ! ça n’est pas un pauvre ! Qui diable peut vouloir abandonner un enfant si beau ? Je le prends, je le porte a la maison. J’arrive juste au moment oîi ma Suzanne venait de me donner encore une petite. — Tout va bien, que je lui dis, voilà un mari pour ta fille. Tu demandais un garçon au bon Dieu, il a mis un petit Jésus dans ma crèche. Si on nous le réclame, voilà de l’argent qu’il faudra rendre. Si on nous le laisse, ma foi ! Dieu nous l’a donné, que sa volonté soit faite !