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géographie, sa moralité m’était bien connue. Il aimait l’argent, mais l’argent bien acquis. J’étais sûr qu’il ferait les choses en conscience. Sa femme était douce et propre, je ne pouvais rien souhaiter de mieux pour Gaston.

Je demandai comment il s’appelait. — Il n’a pas su nous le dire, répondit Michelin, car il ne comprend pas nos questions. Nous lui avons donné le nom qui nous est venu.

— Quel nom ?

— Espérance, et c’est peut-être le sien, car il l’a entendu tout de suite.

Je dissimulai un mouvement de surprise. Ce n’était pourtant pas le hasard seul qui, deux fois de suite, baptisait ainsi l’enfant condamné par son père. La sollicitude ou la pitié des autres venait naturellement lui promettre le retour de tous les biens dont on l’avait frustré. Je ne craignais pas que l’enfant me reconnût, puisqu’il ne m’avait vu que déguisé. Je lui parlai donc, mais il me regarda avec une fixité qui m’épouvanta ; puis, sautant sur mes genoux, il se mit à jouer avec les breloques de ma montre, comme il l’avait fait dans le voyage de Paris à Flamarande. Pour un limier de police, c’eût été un indice important ; les paysans qui m’entouraient n’en cherchèrent pas si long, et je pus jouer avec les enfans, car les petites Michelin se mirent de la partie, et ma montre à répétition courut ce jour-là de graves dangers.

Michelin fils avait de l’amitié pour moi. Il me fit une demande à laquelle je ne crus pas devoir me refuser. Sa dernière petite fille n’était pas baptisée encore. On avait compté sur un vieux parent malade qui venait de mourir, et on me priait de le remplacer en devenant le parrain de l’enfant. On fit donc le baptême le lendemain, j’eus pour commère l’aînée des sœurs de l’enfant, grave personne âgée de six ans. On donna en mon honneur le nom de Charlotte à ma filleule.

XXXIII.

Au dîner qui suivit la cérémonie, nous eûmes un convive inattendu qui me causa quelque trouble. Ce fut Yvoine ou Ambroise, car on l’appelait de ces deux noms, qui venait acheter le bétail de rebut pour en spéculer, comme c’était son état et son habitude. Quoique fin maquignon, il avait une véritable honnêteté relative. On l’ainiait à la ferme, on le recevait avec amitié. Je dw soutenir son regard interrogateur qui me |)arut singulièrement pénétrant, et qui n’était peut-être qu’un affaiblissement de la vue dont il voulait avoir raison ; pourtant il chassait encore et lisait les textes les plus