Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/753

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
747
FLAMARANDE.

je n’avais pas oublié l’enfant de la crèche, et j’attendais avec impatience un accusé de réception, lorsque je reçus une lettre d’une bonne écriture et d’une orthographe passable signée Ambroise. Yvoine se trouvant à la ferme à la réception de mon envoi, il avait été chargé de m’écrire au nom de la famille et de me remercier. La maison était très préoccupée de la mort récente du vieux fermier, qui était fort aimé et fort regretté des siens. Les enfans se portaient bien, ma filleule était superbe, ma commère florissante, et le petit Espérance commençait à rire et à jaser en français. « C’est un enfant charmant, disait Yvoine, et tout le monde l’aime beaucoup. Il paraît avoir oublié son pays et ses parens, car il n’est plus triste et ne pleure jamais. »

J’expédiai aussitôt à Yvoine une belle pipe montée en argent, et je lui écrivis pour le remercier de sa lettre. Je le priais de me donner souvent des nouvelles de ma filleule et de la famille, sans oublier le petit étranger. Involontairement je traitais Yvoine en ami. Je sentais en lui un aide ou un adversaire, et, sans me rendre compte de ce que je pouvais avoir à craindre, je songeais à lui avec une préoccupation vague, mais constante.

M. le comte arriva le 10 janvier avec madame et le petit Roger, que je n’avais pas vu depuis six mois et qui devenait merveilleusement beau, moins beau pourtant, à mon sens, que Gaston. Ces deux enfans ne se ressemblaient sous aucun rapport. Roger était blond, il avait les traits purs et l’air de douceur de sa mère. Gaston ne ressemblait qu’à lui-même. Il était brun, et appartenait aussi bien au type de M. de Flamarande qu’à celui du marquis de Salcède. Ses traits étaient moins réguliers que ceux de Roger, mais il avait des yeux et un regard que je n’ai vus qu’à lui.

M. le comte était guéri, et ses intérêts exigeaient son retour en France. Comme madame regrettait l’Italie, il lui promettait d’y garder un pied-à-terre afin de l’y conduire aussi souvent que possible. Ce n’est pas que la comtesse montrât de la répugnance à revoir Paris et le monde, mais elle craignait que son fils ne fût éprouvé par ce changement de climat. Il ne le fut pas sérieusement. Pourtant elle demanda à son mari et obtint la permission de vivre très sédentaire et de ne voir ses amis que le soir, chez elle ; elle n’était heureuse et gaie qu’avec son fils, le reste ne l’intéressait pas. Aucune coquetterie ; ses belles robes et ses splendides joyaux voyaient rarement le jour. Elle recevait le jeudi dans l’après-midi, et ce jour-là on retenait les intimes pour dîner. Le dimanche, on faisait des invitations, et les salons étaient ouverts le soir. Le reste du temps, madame sortait pour promener Roger ou jouait avec lui dans ses appartemens. Quand il dormait, elle étudiait les différentes