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FLAMARANDE.

Charles, me dit-il. Ce n’est pas un tort que d’avoir une conscience timorée ; cependant c’est un danger lorsqu’on ne raisonne pas mieux que vous ne faites.

Il essaya de me prouver par beaucoup de sophismes que j’avais été le ministre d’une punition méritée, et je fus entraîné à lui dire que je croyais cette punition injuste, que je regardais sa femme comme la victime la plus pure et la plus intéressante.

— Ce que c’est que la beauté ! reprit-il en ricanant. Il faut donc que les esprits les plus droits et les caractères les plus purs subissent son prestige ! Je ne vous le reproche pas, Charles ; je l’ai subi aussi, je le subis peut-être encore, puisque je pardonne.

— Non, m’écriai-je, vous ne pardonnez pas ! Votre dépit est assouvi, voilà tout. Vous lui ôtez son fils et vous osez dire : J’ai pardonné !

— Son fils, elle l’a oublié. Elle en a un autre, elle a le mien ; elle aurait tort de se plaindre. Vous ne m’avez pas dit où est l’autre. Qu’en avez-vous fait ?

— Vous m’aviez défendu de vous en parler, vous ne vouliez plus entendre prononcer son nom. Tenez-vous maintenant à savoir où il est ?

— J’aime mieux l’ignorer, ne me le dites pas. — Et au bout d’un instant, ayant réfléchi, il reprit : — Si fait, je dois le savoir.

— Il est chez vous, monsieur le comte.

— Comment, chez moi ? ici ?

— Il est chez vous, à Flamarande.

— Quelle idée ! On l’y découvrira. Sous quel nom est-il là ?

— Sous aucun nom. — Et je ne pus me défendre de lui raconter avec un certain orgueil assez sot comment, aidé par les circonstances, j’avais réussi à faire adopter Gaston par les Michelin sans rien révéler sur son compte.

Il admira mon habileté, me fit de grands complimens et me congédia en me laissant un vague espoir, car il eut l’air sinon d’approuver, du moins de trouver ingénieuse ma combinaison en vue de faciliter l’explication qu’il aurait à donner, s’il lui arrivait de rendre l’enfant à sa mère ; mais ce fut en vain que je le tourmentai mainte fois à cet égard. Il fut inébranlable, et je dus renoncer à le fléchir. Je tombai alors dans une grande tristesse, et ma santé en fut souvent altérée ; je ne pouvais plus soutenir la présence de Mme la comtesse, quand elle entrait d’un côté, je sortais de l’autre ; je n’osais pas regarder et caresser Roger, que j’aimais pourtant avec tendresse ; je ne pouvais voir cette enfance si heureuse et si choyée sans me représenter mon pauvre petit Gaston gardant les vaches et marchant’pieds nus sur les rochers. Quand